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Revue RAMAGE
CIRAGE 17 nov. 2011
Pierre-Yves Balut
L’ « archéologie du Disparu »
A partir de la formule « Archéologie du Disparu » qui peut sembler de prime abord un quasi truisme, tant l’archéologie paraît indéfectiblement liée à la disparition des « choses » (disparition de la chose elle-même ou des informations qui la concernent), il est possible de s’interroger sur ce que devrait être l’objet même de l’archéologie et sur sa définition comme science. Retour sur une notion autour de laquelle tournent les articles qui seront prochainement mis en ligne dans RAMAGE.
Dans un premier temps, si l’on abandonne les définitions les plus communes de l’archéologie fondées sur les seules conditions de l’observation, on peut la définir comme « la science des ouvrages », qui prend en charge l’équipement technique dans sa totalité. Ainsi, l’accès à l’ouvrage peut-il être autopsique ou auturgique, mais il peut se faire tout aussi bien par le biais du témoignage. Dès lors les opérations de relève (documentaire, historique ou organique) peuvent ne recourir qu’aux témoignages, textuels ou imagiers pour traiter d’ouvrages intégralement et irrémédiablement perdus. Cette définition du Disparu est celle qui s’illustre dans les articles consacrés aux techniques du cuir ou à la technique musicale. Dans ce dernier exemple précisément on mesure combien la technicité n’est pas une affaire seulement de « chose », puisqu’il s’agit bien plus de restituer la composition musicale (système de son et non pas seulement sa notation) et le jeu (système de l’interprétation, donc manipulation de l’instrument et non manière dont il est lui-même produit). La technique n’est donc pas affaire de chose principalement, mais avant tout de manipulation. Etant une part de la raison, elle est incluse dans l’homme.
C’est pourquoi il est avantageux d’appuyer l’archéologie (science des ouvrages) sur une « artistique » (science de l’outil) qui explore les mécanismes de la rationalité technique. Dans cette perspective, l’« archéologie du Disparu » renvoie à l’« artisticité » de l’objet de science (et non plus seulement à son « archéologicité »). Par définition donc, l’objet de science de l’archéologie a disparu, puisque c’est la technique elle-même ! Finalement, à part le témoignage, rien ne permet d’y accéder rétrospectivement. Une archéologie fondée sur l’artistique se propose donc comme objectif l’observation du rationnel relativement à et autour de la technique, en étudiant ce qui est produit par la technique ou, à l’inverse, de quel phénomène culturel il s’agit et où intervient l’équipement. Dès lors, il faut envisager l’ « archéologie du Disparu » dans la perspective d’une archéologie de la Révèle, c’est-à-dire fondée sur la modélisation de l’ensemble des mécanismes du rationnel, dont la technique fait partie, puisqu’elle informe les autres plans ou est informée par eux. La modélisation implique de solliciter la documentation ailleurs que dans l’ouvrage lui-même, parfois bien loin du sujet lui-même, car elle suscite l’enquête et déplace les sources (l’exemple du culte, divin ou funéraire, le manifeste parfaitement ; l’exemple du sport traité autrefois par A. Farnoux également, sujet où précisément avait été élaborée cette notion d’archéologie du Disparu…).
On voit par là que l’artistique, l’étude des mécanismes de la rationalité technique, ne saurait suffire à elle seule à bâtir une archéologie de la Révèle. On est renvoyé constamment à l’ensemble de la raison et il faut, pour comprendre la technique, en passer par une anthropologie où l’on étudie la totalité du rationnel. L’anthropologie, comme science (au singulier) de l’homme a comme unique objet l’homme : objectivement, il faut prendre en compte cette globalité pour construire scientifiquement (logiquement donc) l’objet de science qu’est l’homme. Le rationnel, même diffracté, n’est qu’un. Subjectivement toutefois (professionnellement et sociologiquement donc) on est bien obligé de se le partager puisque cette totalité est incommensurable.
Conclusion : Retour sur l’ « archéologie du Disparu » : par quoi l’on voit qu’une formule, assez banale en apparence, peut prendre sens pour autant que soit précisée la définition de l’archéologie, son rapport nécessaire avec une « artistique » bien sûr, mais aussi et bien plus encore avec une véritable « anthropologie de l’art ».