CIRAGE 29 janvier 2015

Le sacrifice

29 janvier 2015

Résumé – fichier en PDF

Le terme « sacrifice » désigne l’expression axiologique du culte que l’on rend aux dieux. S’agissant du culte funéraire, Pierre-Yves Balut emploie le terme de « deuil » qui est ce que l’on sacrifice pour le mort. On peut faire le sacrifice de soi ou de ses biens.

Le séminaire visera à mettre en évidence la distinction entre

-          Le sacrifice comme perte pour le fidèle (devoir social qui s’exprime par l’abnégation de soi ou la perte de ses biens)

-          l’échange ou le don (cadeau) qui accompagne la fréquentation des dieux ou des morts

-          la dotation qui peut s’entendre comme une modalité technique du culte (équipement de l’être divin ou du mort)

-          la conversion transcendantale du fidèle qui remet à dieu sa vie (au plan sociologique)

-          la conversion transcendantale du fidèle qui remet à dieu sa liberté (au plan axiologique)

On souligne en premier lieu les difficultés de vocabulaire qui ne facilitent pas l’étude des phénomènes cultuels : car « sacrifice », dans le langage commun, s’emploie souvent pour désigner le cadeau, la mise à mort elle-même, voire l’ensemble de la cérémonie religieuse où est fait le cadeau au dieu (expression comme « sacrifice humain », « sacrifice animal », « offrande sacrificielle », « les sacrifices » etc.). Il est rare que le terme désigne à proprement parler ce que nous convenons d’appeler sacrifice, modalité axiologique du culte et qui consiste en une « perte pour l’autre ». Ce sont surtout les Chrétiens qui l’emploient en ce sens (« Dieu n’a pas besoin de ce que nous lui donnons, puisque tout lui appartient, sauf une chose, notre liberté ; ce que nous devons lui offrir, c’est essentiellement notre vie. », Saint Irénée)

En outre, il faut rappeler l’impossibilité d’une définition essentialiste, que ce soit à partir d’un terme ou de l’observation d’un phénomène : tout phénomène, tout fait, ressortit nécessairement à plusieurs mécanismes, concomitants et imbriqués. Ce sont ces mécanismes abstraits qu’il faut donc révéler et s’efforcer de démêler, non pour définir ce qu’est LE sacrifice, mais pour repérer, dans des performances diverses, le mécanisme de l’abnégation, de la perte pour l’autre, qui nous paraît lui correspondre.

Lors de cette première séance, Antoine Gournay a exposé quelques exemples empruntés au monde chinois et qui lui paraissaient poser des problèmes d’analyse des mécanismes cultuels. Il s’agissait plutôt du culte funéraire que du culte divin.

Cas 1 :

La mise à mort d’humains dans le culte funéraire chinois (mise à mort de guerriers, peut-être des prisonniers de guerre, sur la tombe des empereurs) et le remplacement (substitution) de ces morts par des images en terre cuite.

La mise à mort des guerriers est un cadeau ou une offrande qu’on lui fait (guerriers ennemis)

Le fait de disposer dans la tombe des substituts imagiers de guerriers réels (et parfois également des animaux, des concubines, des objets usuels de toutes sortes) ressortit plutôt au mécanisme de la dot qui consiste, techniquement, à équiper l’être du mort de tout le nécessaire à la vie.

Rien n’empêche la dot d’être aussi évidemment un cadeau que l’on fait au mort. Rien n’empêche non plus que la dot ou les cadeaux puissent, par le coût qu’ils représentent, constituer des sacrifices pour les Vivants. Ce n’est pourtant pas, semble-t-il, le mécanisme déterminant ici.

Cas 2 :

Variante : mise à mort sur les tombes d’empereurs chinois des ouvriers qui ont participé à la construction de la tombe.

Dans ce cas, ni cadeau, ni dot, ni sacrifice : il ne s’agit sans doute pas de culte, mais simplement d’une modalité de protection de la tombe. Mesure de police…

Cas 3 :

Le cas des femmes indiennes qui se suicident sur la tombe de leur époux

Certes, elles se donnent la mort elles-mêmes (plus ou moins volontairement), mais s’agit-il d’un sacrifice pour le mari disparu ? D’une modalité extrême du deuil ? N’est-ce pas plutôt une question historique (et non éthique) : sociologiquement, la femme et l’homme sont une même personne ; ou plutôt, la femme est une manière de « meuble » : la personne qu’est l’homme a disparu ; elle disparaît également.

On rappelle également le rôle des lois somptuaires comme limitation du deuil ou de la dépense pour éviter de mettre en danger la société. Régulation sociale du mécanisme.

Cas 4 :

Le sacré comme interdit et le rite comme moyen de le contourner (J. Gagnepain, DVD) : exemple de la cérémonie du Thé et de la consommation ritualisée de l’aliment (Julia)

Si le sacré est un mode de la mise à part et de ce fait peut être une forme de sacrifice (on s’interdit de jouir d’un bien, d’une terre, d’un espace etc.) dans le cadre cultuel, il n’est nullement religieux dans son principe. L’analyse du rite ici est plutôt une question d’usage ou de règle qu’une question axiologique de stratagème.

Conclusion

Nous avons donc surtout traité des questions de culte funéraire et peu du culte divin lors de ce séminaire.

Nous avons surtout évoqué la distinction nécessaire entre le sacrifice et le cadeau comme ressortissant à deux mécanismes cultuels différents, axiologique d’une part et sociologique de l’autre et constaté qu’il était finalement difficile de repérer clairement des mécanismes sacrificiels dans les exemples traités.

Il restera sans doute aussi à affiner la question posée en introduction : distinguer entre le sacrifice et la conversion transcendantale qui, au plan sociologique, consiste à remettre sa vie à dieu, dans des situations ou, naturellement, les phénomènes peuvent apparaitre analogues mais relever de mécanismes distincts (ou distinguables). Nous tenterons donc de proposer une réflexion autour des questions de réclusion volontaire, ascèses diverses etc. pour là encore faire le tour des explications possibles.

  • Ce texte est blancCe texte est blanc
    Ce site est dédié à la recherche en anthropologie de l'art et en archéologie générale. Enseignants chercheurs à l'université, nous y présentons nos activités d'enseignement et de recherche.

  • Ce texte est blancCe texte est blanc
    Revue RAMAGE