CIRAGE 5 février 2015

LA CONVERSION TRANSCENDANTALE, L’ABNEGATION ET LE RITE


Compte rendu par Iulia Toader

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Après avoir abordé précédemment la distinction entre le sacrifice et les autres modalités du culte, en particulier l’offrande et la dot, nous avons décidé, à cause de l’usage commun qui consiste à employer le terme de “sacrifice” pour désigner une offrande supposant la mise à mort d’un animal ou d’un être humain, d’employer désormais, pour dénommer le même mécanisme du renoncement concédé que nous appelions jusqu’ici “sacrifice”, le terme d’“abnégation” dans le cadre du culte divin et le terme de “deuil” dans le cadre du culte des morts. Abnégation et deuil se manifestent par la privation de soi-même (ou d’un avantage à soi-même) et par l’oblation de ses biens.

Nous tenterons aujourd’hui, dans le but d’analyser par la suite des manifestations comme l’ascèse ou la mortification, de dissocier le mécanisme du culte en général et celui de l’abnégation plus particulièrement, de la conversion transcendantale.

Le culte est un passage à la limite du rapport constitutif du social qui, structuralement, nous absentéise, comme contradiction de la positive présence animale. En effet, on a beau retrouver  la présence dans la performance conjoncturelle, la personne, définie par une multitude de rôles et de liens différents nous fait accéder à un autre mode de présence que la positive présence animale. Ainsi, ayant affaire à de réels absents, le culte est un rapport limite, mais un rapport à une absence qui de toutes les manières est constitutive de l’humain. Dieux et morts ne sont pas si étranges, par le fait.

Quant à la conversion transcendantale, on peut tenter de la définir comme une tendance, non-pathologique et impossible à tenir en même temps, de fixation sur l’instance. C’est un essai réitéré et qui ne réussit jamais, du dépassement de soi. Il est important de souligner qu’il n’est pas question ici de rapport à l’autre et donc d’un échange de services, comme dans le cas du culte.

Le mécanisme de l’instance détermine alors les caractères d’un “ça”, qui n’est donc pas un dieu, et qui me dépasse et les manifestations, chez moi, des tentatives de mon dépassement, lesquelles s’expriment malgré tout le plus souvent dans le culte.

La transcendance peut ainsi se décliner aux quatre plans de la raison de la manière suivante :

-       Ça est Oracle

Dans une tendance à coller à l’instance, au plan logique, il s’agit d’un arrêt sur l’impropriété et le caractère de l’oracle est donc de ne rien dire et ce faisant, de pouvoir tout dire.

Je participe de ce dépassement par les deux extrêmes : le Silence absolu, ou l’abus quantitatif ou qualitatif des mots, hyper-répétition visant à vider le sens, par quoi au final, l’oracle parle. Exemples : silence du cloître, moulins à prières, logorrhées, litanies.

-       Ça est Miracle

Au plan technique, cherchant à se fixer sur le loisir, et donc à ne pas réinvestir la contradiction du geste naturel, le miracle est d’un côté une totale dispense de faire et de l’autre, geste inutile. Inertie ou inefficacité totales permettent la production du miracle, dont le caractère est de faire, sans que j’aie eu à faire. Exemples : à développer.

Ou je ne fais rien, ou j’en fais trop: trop de grandeur, trop de richesse en l’occurrence pour le temple

-       Ça est La Personne

Au plan ethnique, ça est le vide de l’absence absolue. En étant hors de toute histoire, ça devient par le fait même éternel, ubique et universel, le Grand Tout d’un véritable Panthéisme comme le hors de tout d’un Nirvana, l’indicible, l’innommé, le non-représentable. Ce « Dieu » transcendant, pur dépassement, n’a rien à voir avec les dieux du culte qui sont « agents de services » (explications, actions, originations, décisions)

Pour l’homme, ce dépassement se manifeste dans les refus de la sexualité (célibats, castration) ou de la génitalité (irresponsabilités des fous, des clochards de dieu, des sadous, moines, ermites, avec abandon du nom, des vêtements, des parents, du monde. Ou au contraire, l’hyper socialité de « l’amour », comme lien avec tous, et de la charité, de la responsabilité pour tous.

-       Ça est Grâce

Dans un essai d’arrêt sur le noloir, au plan éthique, ça veut mon bien pour moi.Ou l’homme s’abstient de vouloir, en toute disponibilité à ce qui arrive. Ou il hypertrophie son vouloir moral, ses abstinences dans les orthodoxies (hérésies)-praxies-nomies (excommunications)-dikés (inquisitions, fatwa)

Dans l’analyse de cas concrets d’une situation historique précise, on doit utiliser la méthode de la substitution (qui consiste à isoler une variable) et donc  commuter un caractère présent dans le cas avec un autre caractère, pour essayer, à l’instar de la linguistique qui distingue les unités significatives (phonèmes) par le trait pertinent, de trouver les unités déterminantes du mécanisme (dans notre cas, axiologique ou sociologique). Par exemple, quels seraient les caractères par lesquels on pourrait distinguer un comportement de renoncement d’un côté, et de l’autre, l’abandon de soi, afin de différencier abnégation et grâce? Pour l’abnégation, est définitoire la perte pour l’autre, dans le cadre d’un échange de services. Tandis que pour la grâce, comme pour toute conversion transcendantale, est définitoire son caractère intenable qui la pose comme un mouvement vers un dépassement de soi impossible.

La connaissance approfondie de la situation historique du cas analysé est indispensable, puisqu’il s’agit de donner des définitions relatives et non pas essentialistes. Ce n’est qu’en connaissant les subtilités du système social et moral de la situation donnée, que les caractères pourront être compris comme ressortissant à un mécanisme constitutif du groupe, du renoncement ou du dépassement.

Pour l’abnégation, se pose le problème du caractère souvent personnel du système moral, qui rajoute une difficulté considérable à la compréhension du comportement. En outre, à l’intérieur du système moral, l’abnégation peut porter sur un plaisir particulier (privation de chocolat par exemple), en même temps que l’on continue à se satisfaire par ailleurs (par exemple, vestimentairement). Dans d’autres cas de figure, il se peut que ce qui semble être une abnégation ne soit qu’une modalité de l’appartenance au groupe, lorsque, par exemple, “renonçant” à la viande, on mange de la langouste.

Mais comment isoler l’abnégation, alors que dans toutes les modalités du culte – interlocution, offrande ou dot – il y a toujours la possibilité de perdre? Est-ce qu’une dépense d’argent considérable (à l’intérieur du système moral de celui qui paye), ou le calcul économique sont des critères déterminants pour l’abnégation?

Serait-il utile de préciser davantage le mécanisme de l’abnégation? La privation étant constitutive de la liberté, qui est le principe de la raison morale, elle détermine tout comportement normal, où l’on paye toujours pour un autre bien. L’abnégation ne pourrait-elle pas être vue comme la jouissance précisément du renoncement ?

Il semble être le plus évident de voir le rite comme l’ordonnance contractuelle, soit ecclésiale, soit sociale, de ce que l’on doit dans le cadre du culte, dans l’ensemble des devoirs de la fréquentation (quand ?comment ?quel cadeau ?quelle prière, quelle dot, etc.). Le rite serait donc la règle (toujours au sens contractuel) des modalités du rapport au dieu ou au mort. Il pourrait être vu, plus précisément, comme une conséquence de l’intervention de l’église, comme groupe responsable professionnellement d’une part du culte. On parle de rite donc, lorsque l’usage est partagé par quelconque groupe, les rapports personnels aux dieux ou aux morts pouvant se faire en dehors des pratiques rituelles.

La prochaine séance sera consacrée à l’analyse de cas concrets de pratiques sacrificielles, rituelles, ascétiques, de mortification, de jeûne etc. par la méthode de la substitution, expliquée plus haut. Les participants pourront y exposer des exemples bien documentés, que nous analyserons ensemble.

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