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Compte-rendu

« Gérard Sabatier, « The Illusions of Marly » , dans Barbara Arciszewska (dir.), The Baroque Villa, Suburban and Country Residences c. 1600-1800 (2009), p. 31-42 (texte en anglais). »

Bruno Bentz

[Compte-rendu en PDF]

Les études sur l’ancien château de Marly renouvellent régulièrement l’historiographie de cette résidence royale bâtie pour Louis XIV à la fin du XVIIe siècle. Plus souvent abordé sous l’angle des grands décors sculptés et peints, des fontaines du jardin, du mobilier ou de la vie de cour à Marly, le sujet met en scène les grands noms de l’architecture et de l’administration au service du roi. Mais un discours continuel, apparemment inépuisable et à coup sûr sans fin, dissèque les origines de cette création originale et la symbolique de cette demeure significative. A la suite de quelques brillants historiens, le professeur Gérard Sabatier (université de Grenoble) s’est donc penché à son tour sur Marly dans le cadre d’un colloque réuni en octobre 2007 au Palais de Wilanów (Pologne).

Son analyse ne s’appuie pas sur des documents nouveaux, mais elle se fonde sur une critique de l’historiographie. Malgré d’inévitables lacunes dans la connaissance des sources, la contribution de G. Sabatier a l’immense mérite de prendre en considération les principales publications, notamment la thèse (en allemand) de Claudia Hartmann publiée en 1995 dont les résultats sont malheureusement restés méconnus. Dès lors, le réexamen qu’il propose mérite une attention particulière. Il s’agit ici, dans un premier temps, de déterminer si les thèses qu’il défend résistent à une enquête minutieuse et quels sont les mythes qu’il prétend dénoncer.

Pour développer cette question de la création de Marly et de son interprétation par les contemporains, il n’est pas sans intérêt, dans un second temps, de questionner ce genre de dispute à laquelle se livrent volontiers les spécialistes de l’histoire de l’architecture. Dépassant l’analyse formelle et les conditions de la réalisation du château, cette approche historique déploie ses efforts pour dénouer les relations entre, d’un côté, deux aspects du bâti mal définis, la forme et la fonction, et d’un autre côté, l’épuisante explication iconographique. L’archéologie permet-elle de clarifier ces débats et quel crédit accorde-t-elle à cette quête des illusions ?

Dans son introduction, G. Sabatier rappelle que Marly est toujours présenté comme un château opposé à celui de Versailles et que d’aucuns jugent que son architecture a un caractère italien, tant par le choix d’un type de construction en pavillons que par la décoration peinte des façades. En outre, il souligne que les contemporains et l’historiographie considèrent qu’il représente le palais du Soleil. L’auteur propose de s’interroger sur ces deux aspects en étudiant les circonstances de la création de Marly, le rôle des artistes et la nature des descriptions de l’époque. S’il note un peu rapidement que Marly a complètement disparu – car le site est bien conservé, ses vestiges permettent notamment de compléter une très riche documentation d’archives – ses observations sur les affinités entre les jardins de Versailles et ceux de Marly durant la dernière période du règne de Louis XIV, d’une part, et la différence entre les usages de la vie de cour entre les deux principales résidences royales, d’autre part, montrent davantage une complémentarité qu’une opposition entre ces châteaux. Il remarque aussi très justement que les traits attribués à Marly (italianisme et symbolique solaire) sont, à la même époque, rejetés à Versailles.

Le premier chapitre compare deux modèles ayant été présentés comme pouvant expliquer le plan d’ensemble des bâtiments et du parc de Marly : celui de la chartreuse du Mont Valérien et celui de la villa antique de Tivoli. Bien que ces deux ensembles développent une architecture éclatée et une disposition centrée sur un bâtiment principal encadré par deux alignements de pavillons, l’auteur conteste la première hypothèse. Il n’y voit qu’une ressemblance formelle imparfaite et il conteste à Marly toute référence à la vie religieuse. A l’inverse, il considère que le plan d’ensemble de Marly a été inspiré par celui de l’ancienne villa antique pour laquelle il suppose une volonté de Louis XIV de s’identifier à l’empereur Hadrien qui la fit bâtir. Que ce soit par référence à la vie monastique ou aux fastes impériaux, G. Sabatier cherche à établir un parallèle entre les séjours de la cour à Marly et le projet initial de construction. Pour cela, il doit corréler la création du château avec son usage au cours des décennies suivantes, ce qui est pourtant assez malaisé car cela suppose un programme établi d’emblée.

La chronologie des travaux du château de Marly montre au contraire que cette construction obéit à une règle constante à cette époque, l’adaptation permanente du parti aux décisions changeantes du roi ! Il est donc vain de chercher un programme initial que l’on aurait patiemment réalisé. En outre, sur la création de Marly, il convient de rectifier plusieurs points :

- G. Sabatier date le projet de construction de 1678 (p. 32) d’après un plan apocryphe qui laisse penser que les terrains ont été arpentés dès cette année-là en préparation des travaux. En réalité, la décision n’a été prise qu’au printemps 1679 ; le plan d’ensemble n’a pu être arrêté qu’au mois de juin, les travaux de terrassement et de drainage commençant aussitôt (Br. Bentz, « Le premier jardin de Marly », Gazette des Beaux-Arts n° 1607 (2002), p. 319-332). Ce décalage n’est pas sans incidence sur une éventuelle explication de la volonté de Louis XIV et sur ses motivations. Les seuls témoignages contemporains disponibles indiquent deux choses : une hésitation sur le choix du site jusqu’au dernier moment et l’intention du roi de faire bâtir une résidence privée.

- Les choix initiaux pour les bâtiments n’ont pas tous été concrétisés, contrairement à ce qui est affirmé (p. 33). Il n’est donc pas possible d’analyser la disposition finale avec douze pavillons latéraux comme une incarnation d’un programme architectural : jusqu’en 1682, les plans et le marché de construction prévoient vingt-quatre pavillons, dont une partie seulement a été élevée.

- De même, pour le jardin, l’aménagement conçu en 1679 est rapidement transformé. Le bassin central n’a pas été creusé dès 1679 pour drainer le vallon (p. 32) : dans un premier temps, des réservoirs alimentés par les sources sont creusés dans les futurs bosquets tandis que le grand bassin est réalisé à partir de 1682. Mais surtout, c’est la réalisation de la machine de Marly (qui n’avait pas été prévue à l’origine) qui entraîna dès 1684 (p. 33) un bouleversement total des dispositifs hydrauliques et la construction de plusieurs cascades.

- La vie à Marly et ses usages est aussi intimement liée à la composition de la famille royale, en perpétuelle transformation. En 1679, le roi a une nouvelle favorite, la jeune Mlle de Fontanges ; il est probable qu’il a décidé la construction de Marly pour y séjourner avec elle. Mais l’aventure s’achève impromptue tandis que les travaux se poursuivent. La maison de plaisance s’adapta a bien d’autres ruptures : la mort de la Reine en 1683, l’union avec Mme de Maintenon, la présence du duc et de la duchesse de Bourgogne, etc.

Le second chapitre analyse les sources auxquelles pourrait se référer le Pavillon royal de Marly, tant italiennes que françaises. Il souligne les différences avec la villa Rotonda si souvent présentée comme son modèle et remarque que les similitudes avec les grands pavillons de chasse de la Renaissance française, notamment Chambord, ne sont pas étrangères à une influence des architectes italiens. G. Sabatier apporte ici un éclairage original pour l’histoire de l’architecture, après avoir rappelé le rôle de Serlio, Androuet du Cerceau, Blondel puis Claude Perrault dans la diffusion des modèles antiques et du traité de Vitruve, en mentionnant une référence intéressante à la salle Egyptienne (p. 37). Ainsi, selon lui, l’architecture de Marly prend pour modèle l’Antiquité classique plutôt que l’Italie moderne.

Les peintures des façades du Pavillon royal et des principaux bâtiments de Marly sont étudiées dans le troisième chapitre. Ce procédé est inhabituel en France, mais l’auteur récuse là encore un nouvel exemple d’italianisme et il reprend et complète l’hypothèse de Cl. Hartmann de la diffusion d’une tradition française des décors de jardins ou de théâtres et plus généralement de l’architecture de fêtes. Quant au choix et à la signification des dessins, G. Sabatier développe un questionnement traditionnel de l’histoire de l’art.

Entre les projets de dessins et l’état effectivement peint sur les façades, une simplification et une uniformisation intervinrent. En l’absence de témoignage, il est tentant d’y voir un effacement progressif du peintre Le Brun au profit de l’architecte Hardouin-Mansart. Leur rôle respectif peut être longtemps débattu et leur rivalité supposée, mais ces changements sont parallèles à ceux du plan d’ensemble et des bâtiments. Il convient néanmoins de préciser le déroulement des travaux de peinture des petits pavillons :

- Les projets de Le Brun ne datent pas de 1679 (p. 38), ils ont été préparés plusieurs années auparavant comme l’a signalé, il y a plusieurs années, R. W. Berger, « On the Origins of Marly », Zeitschrift für Kunstgeschichte 56 (1993), p. 534-544. Toutefois, l’existence de ces projets ne prouve en rien qu’ils étaient destinés à Marly où, d’ailleurs, ils n’ont été que très partiellement utilisés.

- Les premiers enduits sont posés à l’automne 1679 mais les premières peintures ne sont appliquées qu’au printemps suivant notamment par Nocret ; les travaux cessent, inachevés, à l’automne 1680 et ne reprennent que deux ans plus tard. Seuls trois pavillons sont alors achevés. Après la pause hivernale, lorsque les travaux de peintures reprennent en mars 1683, un nouveau marché est passé, avec la même équipe de peintres, car de nouveaux dessins ont été décidés et le programme est désormais limité à douze pavillons (p. 38-39). Cependant, une nouvelle modification est décidée durant l’hiver suivant, elle concerne les six derniers pavillons encore à faire. Un nouveau style est adopté et les peintures sont réalisées désormais par Rousseau. Cette chronologie illustre bien les changements incessants du programme initial.

Il est possible que la disparition progressive, au cours du chantier, des figures mythologiques dans les décors des façades des douze pavillons, au profit de figures allégoriques de l’histoire antique, signe la victoire de l’architecte sur le peintre (p. 39). Mais ce résultat ne peut en aucune façon être l’expression d’une intention datant de la création du château.

Le dernier chapitre est consacré à la symbolique solaire de Marly. La thèse de G. Sabatier est que cette interprétation n’est pas antérieure à la conception de Marly mais qu’elle aurait été énoncée par des exégètes contemporains. Il établit ainsi un parallèle avec les nouveaux décors de Versailles de la même époque qui substituent la figure héroïque du roi au thème Apollinien en vogue dans les années précédentes. Pourtant, le décor des quatre frontons du Pavillon royal représente, dès l’origine, la course du soleil personnifiée par Apollon dans son char, tandis que les dessins proposés par Le Brun pour les petits pavillons sont identifiés comme les « douze maisons du Soleil » dès 1679 (R. W. Berger, art. cit, p. 535, n. 9). Par antithèse, il semble plutôt que la mythologie solaire ait été abandonnée au cours de la construction…

En conclusion, G. Sabatier pense avoir montré que le château de Marly n’a pas été créé pour devenir un nouveau palais dédié au culte du Soleil, mais pour être une demeure digne des empereurs romains dont Louis XIV souhaitait égaler la puissance. C’est pourquoi, selon lui, le plan général du domaine adopta la forme d’un cirque, un parfait exemple de l’architecture de l’Antiquité.

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