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A la recherche du cuir disparu : le tan retrouvé

Benoit Dercy (ED VI, université Paris-Sorbonne [Paris IV])

[article en PDF ; accès aux annexes en PDF]

« [Concernant l’artisanat], certains secteurs sont presque totalement inconnus alors que les textes nous en apprennent l’existence. C’est le cas des productions issues de matériaux périssables : la tannerie, pourtant courante, comme l’indique la fortune du politicien athénien Cléon; l’artisanat du bois, sur lequel on ne peut faire que des suppositions à partir de documents textuels là aussi peu bavards et d’une documentation archéologique presque inexistante dans les conditions climatiques de la Grèce ; le travail de l’os, de la vannerie ou de la sparterie. »

M. Brunet, S. Collin Bouffier, Economies et sociétés en Grèce ancienne (478-88 av. J.-C.), Guide bibliographique (2007), p.104.

Le présent article consiste en la reprise d’une communication prononcée lors d’une journée d’étude qui s’est tenue en 2010[1]. Il s’agissait alors d’exposer les principes théoriques relatifs à une « archéologie du disparu », en s’interrogeant sur les raisons de cette disparition tenant essentiellement au caractère ignoble du matériau étudié dans le cadre de notre mémoire de Master 2[2], les peaux traitées et le cuir, et de montrer qu’il était possible, par le recours aux textes, de retrouver un grand nombre des procédés de fabrication du cuir en Grèce antique.

De l’absence de vestiges et de ses conséquences. Aspects théoriques

Depuis l’étude aujourd’hui dépassée de Lucien Fougerat sur la pelleterie et la fourrure dans l’Antiquité, de la Préhistoire jusqu’à l’époque romaine, parue à Paris en 1914[3], qui tombe dans le travers de la pure narration ou d’analogies douteuses comme mode d’explication, et en dépit de l’appel que Marie-Claire Amouretti lançait aux chercheurs réunis dans le cadre d’un colloque sur l’artisanat en Grèce ancienne en 1998[4], il est peu de recherches actuelles qui prennent en considération le matériau qu’est le cuir dans le monde grec.

L’ouvrage de Robert James Forbes, Studies in Ancient Technology, paru en 1955 puis dans une seconde édition révisée en 1964, aborde le cuir dans un des chapitres de ses neuf volumes[5], en donnant des références précises, mais de manière incomplète et avec quelques approximations.

Un colloque organisé en octobre 2007 par l’Ecole française d’Athènes, ayant pour thème l’artisanat grec[6], n’accordait aucune place à celui de la peau et du cuir, face à d’autres matériaux tout aussi dégradables et offrant peu de chance d’être retrouvés en fouille – du moins en Grèce et en Grande Grèce – comme la vannerie (à partir des trouvailles d’une épave grecque, toutefois) et les textiles ; métaux et verre y étaient également à l’honneur, mais font partie du mobilier que l’on retrouve lors des opérations de terrain.

Ce n’est pas là le moindre des paradoxes que de négliger un matériau omniprésent dans la vie des Grecs de l’Antiquité en raison de la multitude d’usages qu’on pouvait en faire. Comment dès lors expliquer un tel délaissement ?

Les raisons d’un abandon

Une archéologie du noble

Tout d’abord, si l’on retrace à grands traits l’histoire de l’archéologie classique, on constate que la discipline s’est d’abord attachée, en tant qu’« auxiliaire de l’Histoire », à mettre au jour des ouvrages d’art (sculpture, céramique peinte, architecture) imputables aux grands artistes connus par une longue tradition philologique, et à tenter de répondre à des opérations de relève historique ou industrielle – datation, rétablissement de la provenance, attribution de l’ouvrage. Cette archéologie avant tout orientée vers l’Histoire de l’Art a favorisé l’étude des ouvrages nobles, des chefs-d’œuvre, confectionnés en matériaux nobles et durables, qu’ils fussent conservés ou non.

Si l’on portait de l’intérêt à des ouvrages disparus, c’est parce qu’ils étaient considérés comme les marques du génie humain, à l’instar des Sept Merveilles du monde, et les sources testimoniales souvent nombreuses, apanage des historiens philologues (textes) ou historiens d’art (iconographie), faisaient dès lors autorité.

Dans cette conception de la recherche, la place donnée aux études portant sur la céramique commune, la vannerie, le textile, le cuir était bien maigre. Une œuvre entreprise dès la fin du XIXe siècle fait exception : le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines de C. Daremberg, E. Saglio et E. Pottier, qui présente la première anthologie de références textuelles concernant le cuir, sous les rubriques coriarius et sutor[7].

Une des conséquences méthodologiques majeures d’un tel objectif a été incontestablement le rejet et la destruction de vestiges ayant trait au cuir (objets, structures immobilières), voire la non reconnaissance de tels vestiges par ceux qui ne les cherchaient pas.

Une archéologie non seulement du noble, mais encore de l’anobli

Toutefois, certains vestiges ont été survalorisés, comme cet atelier de cordonnier trouvé sur l’agora grecque de l’Athènes classique, identifié, à l’aide d’indices plus qu’incertains, comme la « boutique de Simon le cordonnier » auquel Socrate rendait visite selon Diogène Laërte (Vies II, 122).

Au printemps de l’année 1953, les archéologues américains fouillent l’agora classique sous la direction de Homer A. Thompson : ils mettent au jour sur une terrasse triangulaire à l’extrémité nord deux pièces donnant sur une cour dans laquelle se trouvaient un puits et un égout privatif. La découverte d’un trou de poteau suggère que dans la partie nord, il y avait une resserre ouverte orientée au sud, probablement un atelier ; sur le côté sud se trouvait une pièce plus importante, mais l’étendue totale de la maison dans cette direction n’est pas exactement connue[8].

Dans la cour, une fosse simple d’environ 1,5 m de diamètre et d’égale profondeur, servait de dépotoir à ordures ou fosse d’aisance. Les archéologues y ont trouvé 22 ostraka, dont certains mentionnent les noms d’Aristide, de Thémistocle et d’autres encore, vraisemblablement de l’ostrakophoria de 483-482 av. J.-C. Dans la même zone, de petits clous en fer à tête large sont identifiés comme des clous pour les semelles de chaussures. De petits anneaux en os utilisés pour renforcer les lacets des sandales sont également retrouvés. Un ensemble de 18 autres anneaux en os, de diamètres et d’épaisseurs variables, ont été retrouvés au sud de la demeure, avec 2 tessons hellénistiques, et sont datés du IVe s.[9]

Voici ce que formule le rapport paru quelques mois après la fouille dans le volume 1 du numéro 23 de la revue Hesperia en 1954 :

« Les clous seuls suffisent, par leur nombre, à justifier la thèse selon laquelle l’établissement a été occupé pendant une période par un cordonnier. C’est peut-être le nom de ce cordonnier (it is perhaps the name of the shoemaker) qu’indiquent, au génitif SIMONOS, les lettres gravées au Ve s. sur la partie inférieure du pied d’une coupe à vernis noir trouvée à un niveau approprié dans cet espace. »

A partir du graffiti inscrit sur ce pied de coupe, Thompson a alors recherché dans les textes une correspondance possible avec l’Histoire, et il l’a trouvée chez Diogène Laërte : « Simon d’Athènes était cordonnier ; cet homme, parce que Socrate le visitait à son atelier et y discourait, mettait à l’écrit les propos qu’il se souvenait lui avoir entendu proférer ; c’est pour cette raison qu’on qualifie « de cuir » ses dialogues. Il y en existe trente-trois contenus dans un seul volume. »[10]

De là, l’auteur de l’article conclut : « A part la référence de Diogène, Simon reste une figure très obscure, mais, si on accorde quelque crédit à Diogène, on peut difficilement s’opposer à l’associer à notre établissement : une boutique de cordonnier d’époque appropriée, exactement au pourtour du marché sur lequel Socrate passait la plupart de son temps. »[11]

Vingt ans plus tard, dans le volume XIV de la publication des fouilles de l’agora, le même Thompson et son collègue Wycherley se rétractent quelque peu, visiblement à contrecœur.

« Cet établissement délabré était probablement typique de nombreux autres à Athènes, notamment dans les quartiers environnant l’agora. Des trouvailles heureuses nous indiquent qui en était l’occupant dans la dernière partie du Ve s. »

Puis, après la description des clous, des œillets  la mention du pied de coupe au nom de Simon et la référence à Diogène Laërte :

« Il est très imprudent d’admettre que la coupe a appartenu au cordonnier et qu’il était le cordonnier philosophe avec lequel Socrate, dit-on, passait beaucoup de temps…»[12]

D’un rapport à l’autre, entre 1954 et 1972, la conviction des chercheurs américains s’est émoussée, la conclusion n’est plus si affirmative, mais l’exemple montre bien que dans la pratique professionnelle, l’archéologie privilégie encore ces opérations de relève historique, garde pour enjeu la mise au jour de « reliques », « vestiges appropriés »[13], alors que, techniquement parlant, rien ne distingue ce local d’un autre et que l’atelier en tant que structure immobilière n’offre aucun intérêt dans une étude visant à appréhender l’ars du cordonnier qui se comprend avant tout dans son outillage et éventuellement son mobilier, dans son tour de main, et à travers les objets qu’il confectionne.

Réticence à une véritable archéologie du disparu

Depuis plusieurs décennies pourtant, les études sur l’artisanat grec se sont développées, notamment grâce à des découvertes lors d’opérations de terrain : objets de la vie courante mis en séries, intérêt pour les ateliers, les structures de travail, les outils, les processus de fabrication, la spécialisation de la production, l’organisation du travail…

L’idée demeure pour autant qu’il ne peut y avoir d’histoire des techniques sans vestige, sans observation directe de l’objet, sans « autopsie », comme si la technique n’existait que dans la présence matérielle de l’objet et ne pouvait être comprise qu’à travers lui -ce qu’avec Philippe Bruneau et Pierre-Yves Balut, il faut bien dénoncer comme « une tendance actuelle (…) à erronément assimiler le technique au physique, l’artificiel au matériel et ainsi à le couper de l’humain. »[14]

Une réticence compensée par une complaisance à du comparable récent

L’absence de textes ou leur pauvreté a également incité à entreprendre des enquêtes ethnographiques[15], dont le postulat selon lequel la fabrication technique d’un objet serait réalisée dans les mêmes conditions quelle que soit la société préindustrielle concernée peut s’avérer scientifiquement dangereux, et dont les exemples ne sauraient être considérés comme autre chose qu’une « source d’hypothèses, non comme des preuves en soi. »[16] L’enquête de Marion Labat[17] pourra ainsi en temps voulu nous apporter quelque éclairage sur la façon de fabriquer les outres en Afrique du Nord, l’auteur cherchant des parallèles dans l’iconographie vasculaire grecque afin de dresser les conclusions les moins hasardeuses possible.

Cet attachement au vestige, si « ignoble » soit-il désormais, est ce qui explique que contrairement à l’étude du cuir dans le monde grec (où l’absence du vestige est quasi totale), celle relative aux mondes égyptien, romain et gallo-romain, qui offrent des vestiges mobiliers et immobiliers en plus grand nombre, connaît depuis peu un grand succès. Les sciences naturelles, dont la place est prépondérante aujourd’hui dans les pratiques de terrain, peuvent ainsi apporter leur lot de réponses à partir d’écofacts et d’artefacts (études des espèces, de l’âge des animaux, de leur état sanitaire à partir d’ossements ; analyses chimiques des produits tannants utilisés à partir de lambeaux de peaux ou de résidus de produits tannants…).

Par conséquent, dans une telle perspective, se lancer dans une étude du cuir conduirait par avance à un échec, sauf à espérer trouver des vestiges dans les années à venir, à renouveler, voire à commencer pour le monde grec, la collecte des indices matériels.

Une archéologie testimoniale du disparu

En collectant minutieusement les témoignages sur le cuir qui nous sont parvenus, nous nous sommes rendu compte qu’ils sont plus nombreux que nous le pensions de prime abord. Au cours d’une année de collecte, quelques 130 pages d’anthologie ont été réunies, qui permettent d’appréhender la peau, le cuir et les fourrures à travers les processus de leur fabrication, de leur entretien, et les domaines dans lesquels ils sont utilisés (dernier point qui a tout autant d’importance que les étapes de fabrication pour une étude technique de ces matériaux, puisqu’il permet de réfléchir à leurs  traits pertinents et à la propre analyse que les Grecs en faisaient).

L’absence de sources

Comme les vestiges, dont elles ont fait assurément partie un temps en tant qu’ouvrages fabriqués, les sources testimoniales (écrits et images) ont subi l’outrage du temps. Cependant, l’absence de sources ne revient pas systématiquement à une perte d’informations. En effet, le « zéro documentaire » peut tenir à deux grands types de causes, définies ainsi par Philippe Bruneau et Pierre-Yves Balut : « d’une part, du côté de l’observation rétrospective, les lacunes aléatoires de l’information : l’ouvrage lui-même, ou le témoignage peuvent ne s’être pas conservés, ou n’avoir pas encore été découverts, ou pas encore reconnus (…) ; d’autre part (…), du côté de l’observé, ce que nous avons appelé « l’inertie » : l’ouvrage nous fait défaut pour la seule raison que les usagers ne l’ont pas produit, soit ergologiquement par déficience de savoir-faire, soit axiologiquement par abstention, parce qu’ils n’en avaient pas le goût, ou par abstinence, parce qu’ils ne s’en reconnaissaient pas le droit. »[18]

  • L’absence d’équipement

L’ouvrage n’a jamais été produit, l’équipement technique n’a pas été réalisé. Le « manque » et les raisons de ce manque sont parfois évaluables, du moins méritent-ils notre questionnement. Le défaut d’art vient aussi bien de « l’inaptitude technique, du défaut de savoir-faire », que du « défaut de vouloir faire »[19]. Pour prendre un seul exemple dans le domaine du cuir, les Grecs n’ont pas outillé le procédé de lavage des peaux fraîches juste après le dépeçage des victimes lors des sacrifices. Aucun document écrit ou iconographique, aucun vestige ne témoigne en effet du recours à des cuves ou réservoirs (en bois, maçonnés, en terre cuite …), déplaçables ou non, prévues à cet effet. Pourtant, dans le même temps, ils interdisent, selon certains documents épigraphiques comme le règlement de l’Ilissos (la « loi sacrée » constituant un autre mode d’équipement), de tremper les dépouilles dans le cours d’eau situé à proximité qui fait partie de l’espace sacré du sanctuaire[20].

L’ouvrage n’a jamais été produit, l’équipement technique n’a pas été réalisé. Pourtant, des sources testimoniales en font état, soit que le projet de l’ouvrage ait été transmis, soit que l’ouvrage en question relève du « fictif littéraire ». Hérodote, par exemple, mentionne la confection par le peuple des Arabes d’un « tuyautage de peaux cousues de bœufs et autres bêtes » permettant d’amener de l’eau d’un fleuve jusque dans une région aride, où des citernes la recueillait et la répartissait sur le territoire. L’historien reconnaît de lui-même qu’il a « rapporté [là] le récit le moins plausible » (τὸν ἧσσον πιθανόν) de cet épisode, doutant assurément de la réalisation d’un tel ouvrage, pour des raisons techniques ou économiques[21]. Une telle mise en garde à l’encontre du lecteur sur la réalisation effective de cet équipement ne revient-elle pas à le classer parmi les adynata, à en faire une fiction transmise oralement et que rapporte Hérodote par écrit ?

  • L’absence de témoignage

Il y a eu ars, ouvrage effectif, qu’il ait disparu, qu’il soit non découvert encore ou non reconnu, mais les Anciens n’en ont pas laissé de témoignage. Nous sommes alors dans l’incapacité d’appréhender cet effet d’art (technê amarturos). On peut toutefois expliquer cette absence de témoignage de différentes manières.

Tout d’abord, par mépris pour le savoir-faire dont il est question, et par indifférence en raison de la banalité de l’ouvrage. C’est le problème que nous rencontrons avec le cuir, qui était « ignoble » à deux points de vue au moins : il est un matériau tout à la fois banal et méprisé par les Anciens. Bien que la peau représente une certaine valeur marchande (ce pourquoi elle fait partie des gêrê, émoluments des prêtres lors des sacrifices), elle n’est guère utilisée pour confectionner des objets précieux, ni des objets d’Art, mais au contraire est d’un usage fort répandu pour des objets du quotidien : bourses, besaces, outres, chaussures, courroies en tous genres : « son emploi était évident, alors pourquoi en parler ? » ainsi que le formule très pertinemment Marion Labat dans son article sur la fabrication des outres en Grèce ancienne, en prenant pour exemple contemporain la bouteille d’eau en plastique qu’aucun roman ni aucune pièce de théâtre ne décrirait : l’objet commun, trivial passe de fait inaperçu ![22] De plus, l’usage de la peau dans le vêtement (manteau de fourrure, bonnet de cuir, besace…) est perçu par l’auteur grec ancien policé comme le signe d’une sauvagerie ou d’une appartenance au monde rustique, et, loin d’être seulement négligé, il est fortement déprécié. Enfin, la préparation des peaux en cuir présente des désagréments inévitables (odeurs, souillure…) auxquels les Grecs ont été sensibles[23], ce qui a fortement dévalorisé le métier de tanneur, jamais représenté sur les vases ni les stèles funéraires, contrairement au métier de  cordonnier.

L’absence de témoignages peut encore s’expliquer par conséquence de méthode : la plupart des textes techniques relatifs au cuir qui nous ont été transmis sont l’œuvre de compilateurs, Théophraste (IVe-IIIe s. av. J.-C.) et Dioscoride (Ier s.), qui ont opéré des choix, conscients ou non, dans les relèves qu’ils ont effectuées[24].

Corpus étudié

Notre corpus s’est étendu des débuts de la littérature grecque, avec les œuvres homériques, jusqu’aux lexicographes de langue grecque des IXe et Xe siècles de notre ère (Hésychius au Ve s., Photius et la Souda aux IXe-Xe s.), de même qu’aux scholies d’Aristophane et des Tragiques, bien que tardives[25]. Nous n’avons écarté a priori aucune source sous prétexte qu’elle relevait du genre comique ou satirique ou qu’elle ne renvoyait à aucune époque clairement définie.

Nous n’avons pas omis enfin un auteur latin comme Pline, en tant que « source privilégiée pour l’étude de tous les phénomènes artistiques dans l’Antiquité classique » et de par son « enquête sur les matériaux et les techniques »[26], bien qu’il mélange ses sources et ne les identifie que rarement, comme tout compilateur antique. Il trouve toute sa place dans une mise en série des écrits scientifiques de l’Antiquité et autorise des comparaisons avec Théophraste et Dioscoride.

Notre étude, menée à partir des sources testimoniales dont il était à l’instant question, nous a conduit dans trois directions : l’examen de la fabrication du cuir depuis le moment où la peau est fraîchement écorchée ; l’organisation sociale de l’industrie du cuir, des éleveurs aux cordonniers, en passant par les tanneurs ; l’utilisation que faisaient les Grecs de ce matériau eu égard à ses traits pertinents. Nous ne développerons ici que la première et évoquerons la dernière[27].

Aperçu des conclusions de l’étude

La fabrication : du dépeçage de la bête à l’entretien du cuir

Prélèvement de la peau, et préservation de son intégrité

Par souci de concision ici, nous n’évoquerons pas les questions relatives à la peau de l’animal de son vivant en fonction de l’âge de la bête, de sa taille, de son état sanitaire et de la manière dont elle est gardée, mais débuterons notre aperçu au moment où l’on dépèce la bête, dans ce qu’on pourrait appeler, d’un point de vue purement chronologique, la première phase de fabrication de la matière en matériau doté de qualités autres.

La personne qui dépèce l’animal doit pratiquer une coupe propre et nette, éviter de laisser traîner la peau afin de ne pas la trouer ni de la griffer. Dans le cadre du sacrifice sanglant (thusia), cette opération d’ouverture de la bête et de découpe des parts est très réglementée pour des raisons religieuses. Un seul texte nous donne des précisions sur le geste accompli, lorsqu’Oreste, dans l’Electre d’Euripide, utilise un couteau à dépecer (δωρίς « couteau dorien », au lieu de δορίς, par jeu étymologique semble-t-il[28]) et relève le défi que lui lance Egisthe, au cours d’un sacrifice aux Nymphes, d’ôter la peau d’un veau en un temps record, et de conforter par là-même la réputation des Thessaliens en la matière.

« [Oreste] saisit des deux mains le couteau dorien à la lame bien forgée […] et, empoignant une patte du veau, il mit à nu, par un large geste, les chairs blanches ; il enleva la peau en moins de temps qu’il ne faut à un coureur pour achever un aller-retour sur l’hippodrome. Alors, il ouvre les flancs. »[29]

Si la comparaison empruntée à la course hippique est une façon de mesurer le temps que l’on retrouve, avec la variante de la marche, dans la Médée du même auteur[30], elle a parfois été lue comme une indication du parcours que suit le bras du dépeceur, menant son couteau d’une patte à l’autre de l’animal et revenant en sens inverse[31]. Malheureusement, cette interprétation souffre de ce que le texte est un hapax, évoquant dans une langue poétique une situation de mise au défi exceptionnelle, et rien ici ne permet de supposer que l’auteur ait voulu décrire de manière réaliste ce geste technique.

Le seul témoignage du transport de la peau au cours d’un sacrifice provient d’une amphore attique à figures rouges datée de 470-460 av.  JC[32] : la scène montrant selon J.-L. Durand « un acolyte, portant noué autour des reins le linge traditionnel des préposés à la viande »[33], laisse apparaître une certaine négligence puisque la peau de grande taille, certainement de bœuf, est traînée à même le sol, tirée par la queue, au lieu d’être soulevée, voire véhiculée ou conditionnée immédiatement après son prélèvement : il ne semble pas y avoir eu d’équipement prévu dans le monde grec pour cela.

Premiers traitements sommaires

Si le traitement du cuir paraît souvent sommaire, son entretien peu régulier, comme la « peau de bique » de Timon, le paysan totalement démuni et misanthrope de Lucien, ou celle de ses avatars, ce n’est pas simplement parce que ces portraits relèvent des clichés ancrés dans une sémiologie opposant de façon binaire le Grec policé et l’Autre, qu’il soit Barbare, paysan rustre ou Homme sauvage. Un équipement coûteux, un long investissement, et des compétences techniques poussées sont nécessaires à la fabrication d’un cuir de bonne qualité, ce qui explique qu’à la campagne comme dans les petits ateliers de la ville, il n’est guère possible de mener à bien toutes les étapes nécessaires à un tannage complet de la peau, ou au travail de pelleterie. C’est d’ailleurs le cas de bien des industries de transformation[34] .

On ne peut, pour chaque occurrence relevée, évaluer le degré de tannage, la qualité de préparation de la peau, tant les textes sont allusifs. Certaines occurrences toutefois donnent quelques pistes.

Un certain nombre de références montrent tout d’abord l’absence même d’un traitement de la peau qui, sitôt arrachée à l’animal et lavée, est portée. Cette absence de gestes techniques, hormis celui de dépecer le corps de l’animal, se rencontre lorsque l’auteur évoque les prétendues coutumes de peuples barbares. Il s’agit à chaque fois de peuples qui n’ont aucune maîtrise des techniques du monde civilisé, qui utilisent ce qu’ils trouvent dans la nature sans le transformer : les « hommes-phoques » d’Hérodote (I, 202) ne maîtrisent pas le feu –ni celui de la cuisson (ils mangent cru), ni celui de la macération (ils portent la peau fraîche) ; les Locriens primitifs qu’évoque Pausanias (X, 38) ne connaissent pas la couture.

La même utilisation de la peau verte se rencontre dans un cadre rustique de gens très démunis, comme Ulysse déguisé par Athéna en mendiant (Odyssée, 20,1), ou encore dans un contexte où, clairement, les individus veulent ou ont besoin d’utiliser cette peau immédiatement. Il s’agit alors de se cacher sous ces peaux, sans souci de les garder longtemps (Odyssée, 4, 436-7 et Hérodote II, 42) ; des soldats ont un besoin immédiat de chaussures -et n’ont ni équipement, ni temps pour transformer les peaux (Xénophon, Anabase, IV, 5, 14) ; Héraclès veut disposer sur-le-champ de la protection de la peau de Némée qui est de toute façon indestructible, donc imputrescible (Ps.-Théocrite, XXV, 277-8).

La peau est parfois simplement séchée au soleil (on trouve l’adjectif αὖος), lorsqu’il s’agit pour les Egyptiens de fabriquer des hampes de javelot à base de peau d’hippopotame (Hérodote, II, 71), mais aussi dans des contextes bucoliques : Héraclès porte la peau « desséchée » du lion de Némée (Pseudo-Théocrite, XXV, 142), et Hermès laisse se déshydrater à même une roche les peaux des bœufs d’Apollon (Hymne à Hermès, I, 124-6).

Une des préparations les plus rapides et les plus économiques des peaux peut consister à simplement les saler. Marion Labat, lorsqu’elle décrit la fabrication des outres en Afrique du Nord, précise qu’après avoir dépouillé l’animal, on sale l’extérieur des peaux, on retourne les poils vers l’intérieur. Elles sont frottées pour en enlever les petits morceaux de chair collés, puis mises à sécher au soleil, sans avoir été lavées ni rincées. Au bout de deux à trois jours, au cours desquels les peaux sont retournées régulièrement pour éviter les moisissures, on les retrousse pour mettre les poils à l’extérieur, puis on les nettoie. Après séchage, on en referme les orifices (pattes lorsqu’elles ont été enlevées, orifice anal, cou), en les ficelant ou en les cousant. On ne peut affirmer que les techniques sont absolument identiques du temps d’Aristophane, mais on remarquera que ce procédé de salage des outres est nommé, sous forme d’insulte, dans les Nuées[35], et on peut supposer que les bergers grecs, soucieux de fabriquer un objet banal dans un délai assez court et avec peu de moyens, adoptaient couramment ce traitement.

Transformation de la matière naturelle en matériau : traits supprimés / traits introduits

La différence entre la peau, matière initiale, et le cuir, matériau recherché, consiste en trois points.

La peau est putrescible : dès la mort de l’animal commence le processus naturel de putréfaction. Il va s’agir de faire cesser ce phénomène de différentes façons, mécaniques et chimiques.

La peau est molle, sans tenue lorsqu’elle n’est plus tendue par le squelette, puis en séchant, elle se racornit, se déforme. Il va s’agir de produire un matériau qui acquière à la fois de la souplesse et de la résistance pour produire des objets morphologiquement et physiologiquement « stables ».

Enfin, la peau arrachée, exsangue, n’est pas à proprement parler colorée, elle noircit progressivement en pourrissant. Au contraire, au cours de sa transformation, la peau se colore, en raison de la modification de ses qualités physiologiques, ou sous l’effet de produits, les pharmaka, soit que les tannins vont avoir cette action simultanément à celle du tannage, soit que des produits destinés à teindre uniquement seront utilisés.

  • Arrêter la putréfaction naturelle de la peau

Nous ne sommes pas renseignés pour le monde grec sur les mesures suivantes, idéalement toutes réunies, qui visent à éviter une putréfaction rapide de la peau et sa dégradation immédiatement après le dépeçage : prise en compte de l’environnement extérieur, notamment de la température (il faut éviter les grandes chaleurs) ; rafraîchissement des peaux à l’eau courante ; stockage des peaux dans un lieu qui ne soit pas trop humide (pour éviter tout risque de moisissures) ; prise de mesures sanitaires pour éviter les parasites.

En revanche, les textes littéraires et épigraphiques sont témoins des opérations qui consistent à ôter les parties putrescibles, la chair, la graisse, les poils, soit les opérations de lavage, d’écharnage et d’épilage.

Certains font état de l’existence de nettoyeurs de peaux, de toisons, sans qu’on sache toujours toutefois à coup sûr ce qui est lavé[36].

Dans le passage d’Hérodote du livre IV de l’Enquête relatif aux coutumes scythes, qui retirent la peau des têtes de leurs ennemis, l’auteur note l’utilisation d’un outil pour pratiquer l’écharnage des peaux humaines : « il racle ensuite la chair avec une côte de bœuf »[37]. L’objet, pour le moins rudimentaire, est néanmoins choisi pour trois raisons, ce qui lui donne le statut d’outil : il est incurvé et creux, ce qui facilite l’arrachage et le recueillement des graisses et chairs collées à la peau ; il est solide.

L’épilage également se faisait par traitement mécanique, par raclage : une scholie d’Aristophane nous renseigne sur cette action : « enlever les poils des peaux en les frottant »[38]. On procédait aussi par fumage (Hésychius nous apprend que Cléon le tanneur avait pour surnom bursokappos, « celui qui fait fumer les cuirs »[39]) ou encore par traitement chimique, avec le fruit de la vigne sauvage, selon Théophraste et Dioscoride ; à l’urine ou aux feuilles de mûrier détrempées dans l’urine, selon Pline, qui ici ne rejoint pas les botanistes grecs[40].

Avant même le traitement chimique de la peau, on peut opérer un séchage qui, idéalement, doit être rapide et effectué à l’ombre. En effet, s’il a lieu au soleil et lentement, la surface de la peau durcit et l’évaporation de l’eau cesse. Des bactéries se développent alors et les fibres du tissu du derme sont détruites. Le danger est toutefois moindre pour la peau des ovins car elle est plus fine, et sèche plus vite.

Certains textes mentionnent les outils pour l’étendage des peaux. Dans les Cavaliers d’Aristophane, le Paphlagonien menace le Charcutier en ces mots : « Ton cuir sera mis au chevalet. »[41]. Une scholie de ce passage nous offre le nom de l’engin en question, thranos, et une rapide description en tant que « support de bois pliant »[42]. La peau y est maintenue par des chevilles, apprend-on dans la suite de la comédie (suite de l’injure en Cavaliers 371 : « je te rétalerai à terre avec des chevilles. »)[43]. On ne connaît pas toutefois le mode de séchage de la peau (air ambiant ou fumée ?).

Hérodote mentionnait déjà de telles pratiques d’étendage chez les Scythes qui dépècent leurs ennemis : « Beaucoup écorchent même des hommes tout entiers, étendent les peaux sur des morceaux de bois et les promènent à cheval »[44].

En Grèce, l’air n’est pas suffisant sec pour assurer sans aucun traitement l’imputrescibilité des peaux, contrairement aux régions semi-désertiques. Il faut donc adopter un traitement qui permette de fixer la structure du derme sans la modifier, par différents procédés :

- le traitement au corps gras : l’huile ou la graisse sont répartis sur la peau, qui est battue et étirée pour une meilleure pénétration dans les pores.

L’auteur de l’Iliade, en fin observateur des pratiques du quotidien, nous renseigne sur  l’opération de tannage par la graisse végétale, dans une comparaison entre la peau étirée de tous côtés pour être tendue, et le corps de Patrocle que les deux camps, Troyens et Grecs, se disputent en le tirant : « On voit parfois un homme donner à tendre à ses gens le cuir d’un grand taureau, tout imprégné d’huile. Ils le prennent et s’écartent, en faisant cercle pour le tendre. Aussitôt l’humidité sort ; l’huile pénètre d’autant mieux qu’il y a plus d’hommes à tirer, et le cuir se distend en tous sens. »[45]

Un autre exemple du procédé se lit des siècles plus tard chez Lucien, à l’occasion d’une comparaison entre la peau vivante humaine et la peau imprégnée d’huile en vue de préparer un cuir résistant, car souple et non cassant : « Quant aux corps, (…) nous les frottons d’huile et nous les frictionnons, afin de mieux tendre les muscles. Il serait, en effet, absurde de croire que des peaux amollies par l’huile deviennent plus difficiles à rompre et capables de résister plus longtemps, quoique déjà mortes, et qu’un corps, où circule la vie, ne retirera pas encore plus d’avantage de la même onction. »[46]

- la conservation par le sel : le sel déshydrate la peau et en referme les pores. Toutefois, ces peaux « ont une durée de vie restreinte et doivent être utilisées à l’abri des intempéries »[47].

L’insulte déjà relevée chez Aristophane adressée par Stepsiade à son créancier signifie que, comme une peau passée au sel, pour la rendre imputrescible (et ce à chaque opération), l’homme pourrait servir d’outre[48].

Les vertus du sel pour empêcher la putréfaction des chairs et de la peau sont par ailleurs signalées par Hérodote lorsqu’il décrit l’embaumement en Egypte, plus précisément une de ses phases qui consiste à plonger le corps dans le natron, désigné par le verbe ταρεύχω : « rendre imputrescible par assèchement au sel ».

- le « tannage » proprement dit : il consiste à tremper les peaux dans plusieurs bains successifs d’eau et de produits tannants (le tanin est « un principe à réaction légèrement acide, soluble dans l’eau, astringent »[49]) ; l’eau permet la combinaison du tan avec les fibres de collagène du derme. Le dosage de ces pharmaka doit être pensé en fonction du derme à traiter : une peau de bovin supporte un bain à forte concentration de tanin, contrairement à une peau d’ovin.

Les Anciens regroupent les agents chimiques sous le terme de pharmaka, et opèrent parfois des distinctions entre les opérations de tannage et de teinture, alors que les deux processus sont simultanés avec les tannins tinctoriaux. Les peaux sont immergées dans des bains, et battues pour une meilleure imprégnation des produits, ou au contraire pour les extraire du cuir en fin de traitement, si l’on en croit des textes certes tardifs (une scholie aux Cavaliers d’Aristophane et la Souda[50]). Théophraste connaît l’acacia, la noix de galle, le sumac ; Dioscoride, Pline et Galien citent également le sumac ; Pline ajoute à l’acacia et  à la noix de galle qu’il connaît aussi la garance, qui rougit les cuirs ainsi que le notait déjà Hérodote, et la grenade[51].

Les tannins dits « neutres » « permettaient de conserver au cuir sa couleur naturelle ou de lui donner une coloration très pâle. Ce sont souvent des écorces d’arbres : de chêne, de pin, d’aulne, la vigne sauvage et la notia, plante qui n’est pas identifiée. »[52] Théophraste connaît les vertus de l’aulne et du pin d’Alep (qu’il nomme « pin maritime »), Pline celles de la notia et des vignes blanche et sauvage[53].

  • Donner de la souplesse au cuir, éviter le cassant et la rigidité, rendre la peau résistante (opération de « corroyage »)

Pour éviter d’obtenir un aspect cassant de la feuille de cuir, il est nécessaire de pratiquer un séchage sans étirement excessif. La différence fondamentale entre la fabrication du cuir et celle du parchemin repose sur ce procédé : comme pour le cuir, la peau, d’un animal jeune ou mort-né -en général mouton, chèvre, veau-, subit des opérations de lavage, écharnage, épilage, rinçage, macération (dans la chaux, pour l’épilation), séchage. Mais pour obtenir du parchemin, les peaux, non tannées, sont tendues sur des cadres ou empilées sous presse, le but étant d’étirer la peau au fur et à mesure qu’elle sèche pour modifier la structure du derme[54]. La peau est « séchée sous une tension qui provoque l’élongation et l’alignement des fibres de collagène. »[55]

Il est dès lors nécessaire d’appliquer un corps gras. Selon son mode d’obtention préalable, le cuir est plus ou moins raide, corné : les plus rigides sont ceux qui ont séché au sel ou qui sont conservés à plat après un simple séchage. La graisse (huile, graisse animale, ou mélange[56]) est employée à différents stades d’élaboration du cuir ou au moment même de son utilisation, mais concourt aux mêmes effets : elle imprègne les pores du matériau, le rendant imputrescible, souple et résistant. En cela, elle est aussi un produit d’entretien régulier, utilisé durant toute la durée de vie de l’objet en cuir[57].

  • Donner une couleur aux peaux

Pour teinter la peau, il faut fixer des pigments au niveau des cellules du derme. Cette coloration a lieu en même temps que le tannage lorsqu’on utilise des tannins « tinctoriaux » : fruits et écorce d’acacia (teinte bleutée), écorce de grenade (teinte ocre), noix de galle du chêne (teinte sombre, jusqu’au noir), sumac (jaune-ocre). Ces substances ont un double effet sur le cuir : elles en resserrent les pores et y enferment leurs propres pigments. De même que la concentration du produit influe sur le degré de tannage, elle permet de varier l’intensité de la couleur. Il existe toutefois des tannins « neutres » qui laissent au cuir une teinte proche du naturel, très pâle : l’aulne, la notia, le pin, la vigne blanche. Pour le teindre, on a alors recours à des produits caustiques dilués « qui entament superficiellement la fibre dermique » et permettent d’y fixer la couleur. Pline mentionne, outre la  garance, et le sulfate de cuivre, ou vitriol, qu’il nomme encore « noir de cordonnier »[58].

Dans le corpus, il apparaît nettement, ainsi que nous le disions, que les Anciens opéraient parfois une distinction qui n’avait pas lieu d’être entre les pouvoirs tannants et la vertu tinctoriale de ces substances, et offrent des points de vue divergents sur la question.

Il reste à polir et à cirer régulièrement le cuir pour son entretien : les textes gardent la trace de divers produits ou ustensiles : une « pierre à polir » chez Galien, un « cirage noir » utilisé par un cordonnier chez Lucien. Aristophane recourt quant à lui au verbe perikônein : « passer du kônos », soit « de la poix, du cirage »[59].

Ainsi rendue imputrescible, teintée et régulièrement graissée, la matière est devenue un matériau après réduction du trait naturel de dégradation rapide, et l’ajout des traits utiles relatifs à ses qualités dynamique et esthétique.

L’utilisation du cuir : un matériau omniprésent et polyvalent

Une liste à la Prévert donnera un rapide aperçu de la grande variété des usages du cuir attestés par nos sources, ce qui s’explique par ses multiples qualités : il présente l’avantage d’être un matériau solide, flexible mais pouvant exercer une tension et un maintien, étanche à l’air (donc gonflable) et au liquide, plus difficilement pénétrable que le tissu ; il peut être doux au toucher ou au contraire cingler la peau si on en fouette quelqu’un.

Notre corpus offre une grande diversité de peaux utilisées pour confectionner les objets : outre les bovins, caprins et suidés, étaient susceptibles de servir les peaux de chien, cheval, sanglier, cerf et faon, lion, panthère, lynx, ours, loup, renard, phoque, autruche, dromadaire, hippopotame, crocodile, grue, divers mustélidés et rongeurs, et dans des cas particuliers, la peau des hommes et de personnages mythologiques, comme Marsyas et Argos.

Les utilisations de cuir ou de peau sont attestées dans de domaines très divers :

- l’armement : boucliers en cuir sur âme de bois, d’osier et combiné au métal ; énarmes, baudriers, courroies de bouclier ; casques ; cuirasse ; armes de jet : courroies pour javelot, fronde ; dispositif de défense pour les remparts, notamment contre les incendies ;

- les vêtements et les chaussures, plus ou moins attendus, comme un maillot de bain en cuir de veau, un phallus de cuir porté par les acteurs, des anneaux de cuir en guide de bijoux ;

- les contenants : outre, outre-seau, besaces, bourses, tuyaux ;

- le harnachement et les attaches : rênes, courroies et mors, muselière pour chien, courroies d’attache pour bétail ou homme capturé, courroies diverses, muselières à esclave ;

- la navigation : embarcation de peau sur âme de roseaux, drisse de cuir, courroie d’attache de voile, estrope (courroie d’attache de la rame), sabord gainé de cuir ;

- le sport : lanières de cuir pour protéger les articulations dans les sports de lutte ; punching-ball ; courroies utilisées dans le dispositif de départ d’une course (hysplex) ;

- la confection d’instruments et ustensiles de musique : phorbeia, mentonnière pour les aulètes, et étui à aulos ; tympanon, tambourin, constitué de parchemin tendu ; trompette de cuir brut ;

- la médecine : appareils pour réduire les luxations et les fractures ; balles et coussins de cuir utilisés pour maintenir le malade ou une partie de son corps dans une bonne position ; élément de prothèse ; bouillottes.

- le mobilier : siège et lit à sangles de cuir ;

- et encore divers ustensiles : godemiché, chasse-mouches, chariot-jouet en cuir…

Au total, si l’enquête s’est avérée bel et bien productive, elle connaît aussi des limites ; on aura bien senti ici les flottements chronologiques inhérents à certaines sources : un article du lexicographe Hésychius ne nous donne pas la date de l’activité mentionnée. Certes, une étude ergologique du cuir, sous un aspect technique, considérant les moyens et les fins mis en œuvre pour produire le matériau à partir de la peau, peut se passer de la relève historique. Mais d’autres problèmes surgissent (et nous énumérons là des poncifs) : les textes sont allusifs et n’envisagent souvent qu’un aspect de la question qu’on voudrait voir résolue ; le vocabulaire technique résiste parfois à la traduction et il est rarement monosémique ; l’image est une construction et ne reflète pas la réalité ; l’interprétation qu’on en donne dépasse bien souvent les stricts détails qu’elle offre, et est conditionnée par un point de vue parfois implicite…

En outre, l’absence de vestiges ou d’études menées par des archéozoologues et des carpologues sur des écofacts ou rares objets de cuir trouvés en fouille (comme une paire de semelles trouvée au Céramique, datées de l’époque classique, visibles aujourd’hui dans les vitrines du Musée) nous prive de la possibilité de croiser les conclusions et de pousser l’analyse technique plus loin.

Ce sont ces raisons qui ont fait que nous ne poursuivons pas en doctorat le sujet, mais afin de ne pas laisser le temps faire oublier ou faire taire définitivement le témoignage des Anciens, nous nous donnons pour tâche de poursuivre la collecte des références et de publier prochainement une anthologie commentée de ces sources testimoniales.


[1] « A la recherche du cuir disparu : le tan retrouvé », Journée L’Antiquité à l’épreuve du disparu. De l’absence de vestiges dans les études archéologiques, 31 mai 2010, université Paris-Sorbonne (Paris IV). Nous tenons à remercier la Fondation Hardt de Vandoeuvres (Suisse) qui nous a accueilli au cours de deux séjours en 2011 pour poursuivre notre travail de rédaction d’une monographie sur le cuir grec, et nous a permis de compléter cet article, ainsi que P.-Y. Balut et H. Brun pour leur relecture attentive.

[2] Le travail des peaux et du cuir dans le monde grec antique. Anthologie commentée des sources testimoniales, mémoire de Master 2 soutenu en 2008, sous la direction d’A. Farnoux, université Paris-Sorbonne (Paris IV).

[3] L. Fougerat, La Pelleterie et le vêtement de peau dans l’Antiquité (1914).

[4] Fr. Blondé et A. Muller (éds.), L’artisanat en Grèce ancienne : les productions, les diffusions, actes du colloque de Lyon, 10-11 décembre 1998 (2000).

[5] R. J. Forbes, Studies in Ancient Technology (1955-1963), tome V, chapitre 1 : « Leather in Antiquity », p. 1-79.

[6] L’artisanat grec : approches méthodologiques et perspectives, Ecole française d’Athènes, Athènes, 5 et 6 octobre 2007. Actes non parus.

[7] C. Daremberg, E. Saglio, E. Pottier, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines (1877-1919). Disponible en ligne sur le site http://dagr.univ-tlse2.fr/sdx/dagr/rechercher.xsp

[8] En effet, toutes les constructions de l’aire triangulaire ont été détruites au IIe s. av. J.-C. pour laisser place à l’extrémité ouest du Portique médian, vers 180 av. J.-C. Leurs murs ont été arasés jusqu’au niveau du sol et les fondations recouvertes par la couche de graviers d’une route qui acheminait aux environs de l’extrémité ouest de la Stoa.

[9] On aura facilement accès à la publication de ce matériel sur le site du Ministère hellénique de la Culture http://francoib.chez-alice.fr/hermes/hermes05.htm ; pour des photographies et plans de la zone, ainsi que les rapports de fouilles (en anglais) : http://www.attalos.com/cgi-bin/feature?lookup=siteguide:9

[10] Σίμων Ἀθηναῖος, σκυτοτόμος. Οὗτος ἐρχομένου Σωκράτους ἐπὶ τὸ ἐργαστήριον καὶ διαλεγομένου τινά, ὧν ἐμνημόνευεν ὑποσημειώσεις ἐποιεῖτο· ὅθεν σκυτικοὺς αὐτοῦ τοὺς διαλόγους καλοῦσιν. Εἰσὶ δὲ τρεῖς καὶ τριάκοντα ἐν ἐνὶ φερόμενοι βιβλίῳ. Traduction personnelle.

[11] « Apart from the reference in Diogenes Laertius, Simon is a very shadowy figure, but, if any reliance at all is to be put in Diogenes, one can scarcely resist the association with our establishment : a cobbler’s shop of the appropriate period on the very edge of the market square in which Sokrates spent much of his time », H. A. Thompson, « Excavations in the Athenian Agora : 1953 », Hesperia 23 (1954), p. 31-67, notamment p. 54-55.

[12] « It is hardly rash to assume that the cup belonged to the cobbler and that he was the philosophical cobbler Simon with whom Sokrates is said to have spent much time … », H. A. Thompson et R. E. Wycherley, The Agora of Athens : The History, shape and uses of an ancient city center, The Athenian Agora. Results of excavations conducted by the American School of Classical Studies at Athens XIV (1972), pl. 174 et pl. 88.

[13] Ph. Bruneau, P.-Y. Balut, Artistique et Archéologie, MAGE 1-2 (1997), p. 151 (proposition 155).

[14] Ph. Bruneau, P.-Y. Balut, op.cit., p. 215 (proposition 216).

[15] Par exemple, M. Wiessa compare les pratiques égyptiennes antiques et préindustrielles pour ce qui est de la fabrication du parchemin, dans son article « Du rouleau de cuir au parchemin. Réflexion sur l’évolution d’une technique en Egypte, depuis les origines jusqu’au début de l’ère islamique », L’apport de l’Egypte à l’histoire des techniques (2006), p. 277-301.

[16] J.-P. Demoule, F. Giligny, A. Lehoerff, A. Schnapp, Guide des Méthodes de l’archéologie (2005²), p. 201.

[17] M. Labat, « La fabrication de l’outre : de l’enquête ethnographique à l’interprétation de l’iconographie grecque », Artisanat et Matériaux : la place des matériaux dans l’histoire des techniques, Cahier d’Histoire des Techniques 4 (1998).

[18] Ph. Bruneau, P.-Y. Balut, op.cit., p .291-292 (proposition 280).

[19] Ph. Bruneau, P.-Y. Balut, op.cit., p.180 (proposition 189 b).

[20] IG I3, 257 (= Lois sacrées des cités grecques, Supplément, n° 4), vers 420 av. J.-C. : «… interdiction de tremper les peaux dans l’Ilissos au-dessus du temenos d’Hérakl[è]s, de les amollir e[t de jeter] dans la r[ivière les objets utilisés pour les lus]tra[tion]s…» (με-|δὲ δέρματα σέπεν ἐν το-|ι hιλισοι καθύπερθεν | τὸ τεμένος το hερακλέ-|ος, μεδὲ βυρσοδεφσεν, μ-|[εδὲ καθά]ρμ[ατ]α (ἐ)ς τὸν π-|[οταμὸν βάλλειν...). Traduction revue, notamment du terme βυρσοδεφσεν, soit βυρσοδεψεῖν, habituellement traduit par « tanner ».

[21] Hérodote III, 9 : ῥαψάμενον ὠμοβοέων καὶ ἄλλων δερμάτων ὀχετόν.

[22] M. Labat, op.cit., p. 36. Le propos de l’auteur concerne la fabrication de l’outre en particulier, pour laquelle on dispose de très peu de textes, qu’ils soient techniques ou littéraires.

[23] On se souvient des insultes lancées par les personnages d’Aristophane contre le tanneur Cléon, qui « pue le cuir » (Cav., 892, Gu., 38, Paix, 753) ; on lira aussi la fable d’Esope « L’homme riche et le tanneur », l’article « rêver d’être tanneur » chez Artémidore (Onir., I, 51), l’explication de Plutarque sur l’origine du nom des Locriens Ozoles (Qu.gr., 15) ou celle de Pausanias (Per., X, 38, 3).

[24] A ce sujet, on lira avec profit, au sujet de ces deux compilateurs grecs, l’article de M.-Cl. Amouretti, « Les Ressources végétales méconnues de la chôra », BCH Suppl. 34 (1999), p. 357-369.

[25] Cf Annexes – Doc. 2, pour le détail des auteurs et périodes étudiés à la date de la communication.

[26] A. Rouveret, « “Toute la mémoire du monde” : la notion de collection dans l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien », dans Pline l’Ancien, témoin de son temps, Actes du colloque de Nantes, 22-26 octobre 1985 (1987), p. 434.

[27] Nous avons par ailleurs développé la sociologie des métiers du cuir et les questions de l’outillage et du tour de main dans la confection des objets à partir de ce matériau dans une seconde communication lors de la Journée doctorale de l’ED VI, L’usage des textes en archéologie, 18 janvier 2011, Paris-Sorbonne (Paris-IV). Notre communication, intitulée « Les cordonniers (grecs) sont-ils les plus mal chaussés ? Réflexions sur la négligence dans l’emploi des textes pour une archéologie de la cordonnerie » insistait sur l’abus ou au contraire le rebut de références textuelles dans les interprétations historiques et archéologiques pour ce qui est d’une des industries du cuir, la cordonnerie.

[28] On trouve en effet le terme δορίς chez les lexicographes Hésychius (δορίς·σκεῦος μαγειρικόν ; cf Callimaque, fr. 75, 11)  et Photius (719 δορίδες· σκεύη μαγειρικά). C’est une lame de fer, bien forgée (Egisthe dit à Oreste au v. 817 : « prends ce fer », λαβὲ σίδηρον). On notera dans la suite du passage qu’Oreste change de lame au moment de fendre le thorax du veau (v. 836-837), et prend alors « à la place du couteau dorien, un couperet de Phthie » (Φθιάδ´ ἀντὶ Δωρικῆς / οἴσει τις ἡμῖν κοπίδ´ ἀναρρῆξαι χέλυν). La doris semble donc bien affectée ici au seul acte de fendre la peau avant de la prélever.

[29] Euripide, El., 819 et 822-826. ὁ δ´ εὐκρότητον Δωρίδ´ ἁρπάσας χεροῖν […] καὶ λαβὼν μόσχου πόδα /λευκὰς ἐγύμνου σάρκας ἐκτείνων χέρα· / θᾶσσον δὲ βύρσαν ἐξέδειρεν ἢ δρομεὺς / δισσοὺς διαύλους ἱππίους διήνυσεν, / κἀνεῖτο λαγόνας. Traduction personnelle.

[30] Euripide, Med., 1181 sq : Tandis que la fille du roi de Corinthe subit les premières tortures du poison de la robe offerte par Médée, ses servantes courent en tous sens chercher Créon et Jason : « Le temps qu’un bon marcheur rapide eût parcouru, d’un train vif, deux cents pas à peine, […] la victime se réveille. » Traduction V.-H. Debibour, Les Tragiques grecs (1999).

[31] C’est par exemple l’interprétation du traducteur et commentateur L. Parmentier (tome IV des Tragédies d’Euripide, première édition 1948 dans la CUF.) : voir la note 2 de la page 224.

[32] Amphore attique à figures rouges, v. 470-460 av. J.-C., Boston, Museum of Fine Arts, 01.8109. Amphore en provenance de Cumes, attribuée au Peintre de Pan. Les faces A et B du vase ne sont pas en relation : sur la face A, un arbitre déclare un athlète victorieux.

[33] J.-L. Durand, « Bêtes grecques », dans M. Détienne et J.-P. Vernant, La cuisine du sacrifice en pays grec (1979), p.142 (= fig.4).

[34] P. Cabanes, Le Monde grec (2006²), p.44, développe les exemples des métiers du feu : la métallurgie (nécessitant une cuisson à fortes températures, un matériel de forge …) et la céramique (« exigeant de vrais artistes, potiers et peintres, tant pour la forme des vases que pour leur décoration. »).

[35] Aristophane, Nu., 1237 : Strepsiade dit à un créancier que « nettoyé au sel, il servirait bien celui-là » (ἁλσὶν διασμηχθεὶς ὄναιτ’ ἂν οὑτοσί) et la scholie : « ayant été nettoyé [hapax] : on emploie l’expression pour une céramique ou pour une outre, qui gagnent en qualité quand on les frotte avec du sel. » (διασμηχθεὶς · ὡς ἐπὶ κεράμου ἢ ἀσκοῦ τὸν λόγον ποεῖται, οἵτινες σμηχόμενοι ἀλσί βελτίονες γίνονται, dans Fr. Dübner, Scholia Graeca in Aristophanem (1883)). Traductions personnelles.

[36] Aristophane, Pl., 167 où l’on rencontre, dans une liste d’artisans, entre un tailleur de cuir et un tanneur, un homme qui nettoie les toisons (ὁ δέ γε πλύνει κῴδια) ; IG II², 2934 (Athènes, acropole, milieu du IVe s.) : une association de « laveurs » (οἱ πλυνῆς : de peaux ? de vêtements ?) consacre une stèle aux Nymphes.

[37] Hérodote, IV, 64 : σαρκίσας βοὸς πλευρῇ.

[38] Scholie à Cav., 373 : τῶν δερμάτων ἀπομαδίζειν τὰς τρίχας (reprise à J. Taillardat, Les Images d’Aristophane, Etudes de langue et de style (1962, 1965²). Traduction personnelle.

[39] Hésychius s.v. βυρσόκαππον · τὸν Κλέωνα. Voir aussi Hésychius s.v. πυρσολεῖφοι πυρσόλειφθοι · ὑπὸ πυρὸς μεμαδισμένοι « pursoleiphoi ou pursoleiphthoi : dépilés sous l’action du feu ». Traductions personnelles.

[40] Théophraste, Pl., IX, 20, 3 ; Dioscoride, IV, 182 ; Pline l’ancien, XVII, 51 et XXIII, 140.

[41] Aristophane, Cav., 369 : ἡ βύρσα σου θρανεύσεται.

[42] Scholie à Cav., 369 a (I) : « un thranos est en effet un support de bois pliant, où l’on étend les peaux » (θράνος γὰρ τὸ ὑποπόδιον, ὅπου τὰ δέρματα ἐκτείνεται), dans N. G. Wilson, Scholia in Aristophanem, fasc. II, in Equites [1969]).Traduction personnelle. Cf J. Taillardat, op.cit., § 595.

[43] διαπατταλευθήσει χαμαί. Cf Scholie à Cav., 371 : « lorsqu’on étend les peaux sur le sol, afin qu’elles ne se rétractent pas ni ne se replient sous l’effet de la chaleur du soleil, on les tend au moyen de chevilles enfoncées à leurs extrémités. » (τὰς γὰρ βύρσας ἐκτείνοντες ἐπί τῆς γῆς, ἵνα μὴ συνάγοιντο καὶ συστέλλοιντο ἐκ τῆς τοῦ ἡλίου καύσεως, κατὰ τὰ ἄκρα παττάλοις κατακρούοντες ἐκτείνουσιν, reprise à J. Taillardat, ibid.). Traduction personnelle.

[44] Hérodote, IV, 64 : ὅλους ἄνδρας ἐκδείραντες … διατείναντες ἐπὶ ξύλων.

[45] Iliade 17, 389-393 : Ὡς δ’ ὅτ’ ἀνὴρ ταύροιο βοὸς μεγάλοιο βοείην | λαοῖσιν δώῃ τανύειν, μεθύουσαν ἀλοιφῇ· | δεξάμενοι δ’ἄρα τοί γε διαστάντες τανύουσι | κυκλόσ’, ἄφαρ δέ τε ἰκμὰς ἔβη, δύνει δέ τ’ἀλοιφὴ | πολλῶν ἑλκόντων, τάνυται δέ τε πᾶσα διὰ πρό.

[46] Lucien, Anacharsis 24 : Τὰ δὲ δὴ σώματα (…) χρίομεν ἐλαίῳ καὶ καταμαλάττομεν, ὡς εὐτονώτερα γίγνοιτο · ἄτοπον γάρ, εἰ τὰ μὲν σκύτη νομίζομεν ὑπὸ τῷ ἐλαίῳ μαλαττόμενα δυσραγέστερα καὶ πολλῷ διαρκέστερα γίγνεσθαι νεκρά γε ἤδη ὄντα, τὸ δ’ ἔτι ζωῆς μετέχον σῶμα μὴ ἂν ἄμεινον ἡγοίμεθα ὑπὸ τοῦ ἐλαίου διατεθήσεσθαι.

[47] M. Leguilloux, op. cit., p.34.

[48] Voir supra note 35.

[49] M. Leguilloux, ibid., p.30.

[50] Scholie à Cav., 369 (II) : « [les tanneurs] avaient l’habitude de battre les cuirs avec des morceaux de bois afin de les attendrir ; selon d’autres, afin d’en extraire facilement le produit. » (τὰς βύρσας ξύλοις τύπτειν εἰώθασιν, ἵνα ἁπαλαὶ ὦσιν. ἔνιοι δὲ ἵνα διαλάβοιεν εὐχερῶς τοῦ φαρμάκου, dans N.G. Wilson, op.cit. ; Souda s.v. βυρσαίετος, à propos des injures contre Cléon le tanneur en Cav., 196 et 203 : « cela signifie “sentir mauvais”, du fait de tremper les peaux et de les laisser un nombre assez important de jours [immergées] dans un produit » (σημαίνει δὲ τὸ ἐκ τοῦ ἐμβρέχειν τὰ δέρματα καί πλείοσιν ἡμέραις ἐᾶν αὐτὰ εἰς τὸ φάρμακον … ἄχαρι ὀδωδέναι). Traductions personnelles.

[51] Respectivement : Théophraste, Pl., IV, 2, 8 (ἄκανθα, acacia) ; III, 8, 6 (galle du chêne domestique, ἡμερίς) ; III,18,5 (ῥοῦς, sumac) ; Dioscoride, I, 108 (ῥοῦς) ; Pline l’ancien,  XIII, 55 (rhus, sumac de Syrie) ; Galie, XII, 115 (ῥοῦς) ; Pline L’ancien, XIII, 63 et XXIV, 109 (acaciae semen, graine d’acacia) ; XVI, 26 (galla, galle) ; XXIV, 94 (erythrodanum ou ereuthodanum ou encore rubia, garance) ; Hérodote, IV,189 (ἐρευθέδανον, garance) ; Pline l’ancien, XIII, 113, XXIII, 107 et XXIV, 91 (granatum ou malicorium, grenade). Pline fait allusion dans cette dernière occurrence à « l’arbrisseau des corroyeurs » (frutex coriarius) « dont les feuilles sèches servent au tannage des cuirs comme l’écorce de grenade ».

[52] M. Leguilloux, ibid., p. 29.

[53] Respectivement : Théophraste, Pl., III, 143 (κλήθρα, aulne) ; III, 9, 1 (παραλία, pin « maritime ») ; Pline l’ancien, XXIV, 175 (notia « très connue des corroyeurs sous des noms divers » ; selon H. Le Bonniec, dans l’édition de la CUF, Dioscoride (IV, 182) donne ce terme comme équivalent la vigne blanche ou bryone. Pline semble ne pas s’être aperçu qu’il consacrait deux notices à la même plante. M. Leguilloux ne semble pas informée de cette concordance) ; Pline l’ancien, XXIII, 22 (vitis alba, vigne blanche) et XIV, 98 (labrusca, vigne sauvage). Cf Annexe – Doc.3 pour un tableau d’ensemble des tannins connus des auteurs anciens.

[54] « Les fibres de collagène qui, dans la peau, forment un réseau tridimensionnel, tendent à s’entasser les unes sur les autres parallèlement à la surface de celle-ci dans le sens des forces de traction qui sont exercées, produisant ainsi une structure lamellaire. Les fibres, très collées entre elles, présentent un angle d’entrelacement très faible, ce qui explique la très grande résistance mécanique du matériau (…). L’ensemble de ces phénomènes mécaniques et chimiques permet de « figer » en quelque sorte les fibres dans cette structure quand le parchemin est sec, donnant ainsi son aspect semi-rigide au matériau » par opposition au cuir : Cl. Chahine, dans M. Leguilloux, op.cit., p. 41 (sans référence précise). On consultera de la première : « De la peau au parchemin, évolution d’un support d’écriture », Quinio, 3 (2001), p.17-50 ; « Evolution des techniques de fabrication du cuir et problèmes de conservation », Le Travail du cuir de la Préhistoire à nos jours. XXIIe Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes (2002), p.13-29.

[55] M. Wissa, op.cit., p.278.

[56] On trouve dans notre corpus, en guise de produits graissants, l’huile d’olive (Lucien, Anach., 24 : ὁ ἐλαῖον ; Caton, Agr., 135,3 : unguo), la graisse animale (Iliade 17, 389-93 : ἀλοιφή), l’amurca (Pline l’ancien, XV, 34). La nature exacte de l’aloiphê grecque n’est pas connue. On en trouve d’autres mentions, comme dans le passage D73 de la Syntaxe mécanique de Philon de Byzance, traduit par Y. Garlan (Recherches de poliorcétique grecque [1974]), qui mentionne des « échelles de cuir, qui sont cousues comme les outres et que des enduits de graisse aux coutures rendent assez hermétiques pour être gonflées » (τὰς σκυτίνας κλίμακας […] αἳ ῥάπτονται καθάπερ οἱ ἀσκοὶ καὶ ὑπαλοιφῇ κατὰ τὰς ῥαφὰς ὑποστεγνωθεῖσαι φυσῶνται).

[57] Si sociologiquement, le tanneur n’est pas le cordonnier, tous deux ont le même geste technique qui occasionne le même effet en vue de la même fin lorsqu’ils graissent une peau ou du cuir. « Ergologiquement, c’est-à-dire hormis toute valorisation et organisation professionnelle, entretien et réparation ressortissent à la fabrication autant que la production première. » (Ph. Bruneau, P.-Y. Balut, op.cit., p. 199-200[proposition 205]).

[58] Pline l’ancien, XXXIV, 123-124 (atramentum tinguendis coriis : « noir pour teindre les cuirs »). Dioscoride, V, 98 donne déjà les termes σταλακτιόν (chez Pline, stalagmias, « noir de cordonnier ») et λογχωτόν (chez Pline, lonchoton, « violet, tirant sur le blanc »).

[59] Respectivement : Galien, XII, 962 et 983 (ἀγήρατος) ; Lucien, Traversée pour les Enfers, 15 (μελαντηρίαν) ; Aristophane, Gu., 600 (περικωνεῖν).

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