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Editorial – RAMAGE, le retour !

Pierre-Yves Balut

[article en PDF]

Dix ans que notre revue d’archéologie moderne et d’archéologie générale n’est pas parue.

Elle reprend cette année « en ligne » !

Philippe Bruneau fit encore le dernier numéro, le 14, dans l’année qui précéda sa mort.

Mais la situation nous a ensuite débordés. L’administration universitaire changeait : les finances cessaient le report des subventions et même des recettes d’une année sur l’autre et notre « cagnotte » pour des retirages ou des livres disparut. RAMAGE qui s’autofinançait, qui fut longtemps une des meilleures ventes officielles des Presses de l’université aurait dû redemander à chaque fois ses subsides et s’insérer dans une organisation nouvelle des publications, sans l’autorité de Philippe Bruneau et la bienveillance de Brigitte Taillebois qui tomba elle aussi gravement malade avant de disparaître en 2005. De plus, la réorganisation de la recherche supprimait tous les centres de l’université au profit des regroupements entre universités et avec le CNRS : ainsi le centre d’archéologie moderne n’a plus aucune existence légale et, par le fait, aucune ligne budgétaire, aucune possibilité de financement propre.

Il fallait aussi continuer tous les enseignements, non seulement d’archéologie grecque, mais encore de théorie de l’art, en licence d’histoire de l’art, et d’archéologie contemporaine en licence d’archéologie, parfois dans l’adversité. Les « contrats quadriennaux » et la disparition de Philippe Bruneau furent l’occasion, pour les historiens d’art conduits par Bruno Foucart, de nous éjecter de leur licence, et si cela eut été possible même au titre du certificat obligatoire d’archéologie : sans antipathie personnelle, naturellement, il fallait que l’opposition et le rejet fussent bien forts contre toute théorie qui ne fut pas de l’histoire ! Mais de façon récurrente, on nous sortirait bien encore de la licence d’archéologie : au moment où l’archéologie préventive reconnaît l’intérêt même de notre archéologie contemporaine et la nécessité de dépasser la définition restrictivement fouilleuse, comme j’ai eu à l’écrire dans les Nouvelles de l’archéologie, c’est le moment choisi par quelques-uns pour refuser notre orientation théorique, incontournablement fondatrice. On est parfois confondu de la lucidité, du bon sens et de l’ouverture d’esprit de certains !

Dix ans ont donc ainsi passé ! Après tout, 14 RAMAGE en 28 ans, ce n’est déjà pas si mal.

Surtout que nous n’avons pas du tout perdu notre temps, tout compte fait.

Tout d’abord, nous ne sommes pas restés à rien faire, tout au contraire : les séminaires des CIRAGEs de quinzaine sont devenus hebdomadaires et annuels ; les Universités d’été ont immédiatement été lancées avec le succès de beaux programmes[1] et d’une fréquentation en progression. Les raisonnements et les modèles de notre archéologie générale se sont développés, appliqués à de nouveaux objets, étendus à des situations historiques largement diversifiées où ils continuent de montrer leur efficacité pour problématiser, comme pour traiter des matériels bien différents. Naturellement dans les enseignements d’histoire de l’art et d’archéologie grecs : Alexandre Farnoux, comme successeur de Philippe Bruneau, aborda ainsi l’analyse modélisée du sport, de la guerre dans l’antiquité ; Hélène Brun, celle du culte ou de la peinture ; Hélène Wurmser, le logement antique dans sa thèse. En chinois, Antoine Gournay appliqua systématiquement le modèle du logement à l’analyse de la maison, au système architectural dont il fit son habilitation en 2010, comme il l’avait fait pour les jardins lors de sa thèse ; Catherine Dzalba-Lyndis employa, dans son doctorat, le modèle du funéraire pour l’analyse des monuments impériaux ; et Frédéric Le Gourierec fut docteur en recourant à la théorie de la médiation pour comprendre l’art contemporain chinois. En médiéval, Florence Journot, élue et habilitée à l’université de Panthéon-Sorbonne, développa l’archéologie du bâti. En gagnant la construction d’un nouveau musée de Fécamp, Marie-Hélène Desjardins a continué de travailler sur une archéologie de la pèche et surtout de l’enfance ; Yves Gagneux, au musée Balzac, prolonge ses réflexions sur la relique, les maisons d’écrivains, l’illustration littéraire. Et dans son enseignement à l’Ecole nationale supérieure d’arts appliqués, Frédéric Siard rend compte à notre façon du design. Quand de plus, en matière théorique, nous avons élaboré divers modèles d’analyse[2], comme les modèles du culte, des institutions religieuses et de la transcendance, du vêtement, de la mode, de l’activité allant du sport au théâtre par la danse ou le cirque ; ou le modèle de l’écriture, par Frédéric Le Gourierec, ou des traitements du corps, de l’industrie textile ou encore, plus techniquement, de l’ergotropie, de la polytropie et de la synergie, par Marie-Laure Portal. Quand nous nous sommes initiés, dans les séminaires de l’année comme d’estive, ainsi qu’en témoignent leurs programmes, à d’autres domaines de la théorie en sorte de les adapter à notre mode et surtout à nos problèmes, à nos nécessités, comme le rapport des sciences naturelles et des sciences de l’homme, pour l’archéométrie ou les analyses laborantines de l’art ; l’économie et tout le système de la morale avec ses répercussions sur l’art, les systèmes monétaires, la mode ; et bien sûr l’histoire et la sociologie, ou particulièrement le statut de l’enfance : on ne pourra pas dire que ces 10 ans furent inoccupés ou improductifs. On ne pourra pas croire non plus que cette exploitation théorique n’est plus féconde et qu’il faut passer à autre chose ! Les biographies, souvent discrètes sinon modestes des membres du Centre d’Archéologie Générale[3] pourront témoigner de la diversité des intérêts et des recherches, nourris de ces orientations et de ces travaux.

D’autant que, même si nous ne sommes guère institutionnels pour une grande part, nous sommes loin d’être coupés et sectaires : nous avons noué au contraire de nombreuses collaborations à l’extérieur de notre université. Avec les « Rennais », comme il est attendu, qui ont continué l’enseignement et les travaux cliniques de Jean Gagnepain : nous avons fréquenté leurs rencontres de Monteneuf, près de Rennes, et maintenant celles de Fontevrault, régulières et annuelles. Jacques Laisis et Pierre Juban sont venus plusieurs fois animer nos universités d’été, ou le dernier, le séminaire du jeudi. Représentant aussi une archéologie très institutionnelle et traditionnelle puisque fouilleuse, Gilles Bellan intervient dans le certificat d’archéologie contemporaine. Après avoir collaboré à une grosse publication par l’Institut national de recherches archéologiques préventives sur La France archéologique (2004) où il traita « De Marignan à Verdun, Les époques moderne et contemporaine », il vient d’écrire avec Florence Journot le livre de référence sur l’archéologie du passé récent publié par le même institut si dévoué aux fouilles, dans une collection où sont les autres périodes plus attendues, et pour lequel j’ai collaboré sur « une archéologie du culte contemporain est-elle possible ? ». Florence Journot m’appelle tous les ans dans son séminaire de master de l’université de Panthéon-Sorbonne. Et j’ai aussi collaboré à son numéro des Nouvelles de l’archéologie n° 96-2004 consacrées à l’archéologie moderne pour en défendre les impasses qui obligent au dépassement ! Catherine Chauveau à la rédaction d’Archéopage ou Mathias Dupuis sur les chantiers de fouilles fréquentent encore nos réunions et exposent leurs sujets et leurs préoccupations. Et d’autres encore qui nous donnent régulièrement de leurs nouvelles. Nous allons à Fécamp voir les collections de marine, d’enfance ou de beaux-arts ; Marie-Hélène Desjardins vient aux universités quand son grand chantier du nouveau musée lui en laisse le loisir. Nous avons discuté des questions archéologiques du parc et du château de Marly ou de la restitution et du mécanisme de son télégraphe avec Bruno Bentz. Aude Le Guennec a traité nombre de problèmes du vêtement d’enfant qu’elle montrait dans le musée de Cholet et qu’elle enseigne maintenant à l’université d’Angers. Après nous avoir reliés à l’Union centrale des arts décoratifs, à ses collections et à ses documentations, Lydia Kamitsis, en continuant d’enseigner histoire et questions vestimentaires dans les certificats d’archéologie contemporaine, nous relie à ses expositions dans le monde. Yves Gagneux, outre ses recherches sur les illustrations ou les reliques qu’il nous présente, nous explique aussi ses expositions à la maison Balzac, dont certaines sont issues des travaux des étudiants en arts appliqués de Frédéric Siard. Ces mêmes étudiants d’ « Olivier de Serres » viennent dans le séminaire de master 1ère année construire ergologiquement leurs sujets. Je suis vice-président du jury de leur diplôme de sortie de 4ème année,  membre du jury d’agrégation en arts appliqués et cosignataire avec l’inspecteur général de la dernière révision de tous les sujets des bacs d’arts appliqués. L’Institut français de la mode fournit annuellement jusqu’à soixante étudiants au séminaire sur le vêtement, en seconde année de master sur l’équipement de la personne. J’en oublie sûrement : on ne peut pas dire que nous soyons inactifs et repliés sur une théorie absconse et improductive !

Il est vrai que nous ne demandons pas de subventions pour faire des colloques qui restent souvent ce que Philippe Bruneau en disaient en son temps, des soliloques : nos colloques sont les séminaires hebdomadaires et les universités d’été. Nous n’en produisons et n’en échangeons pas moins efficacement. Mais nous n’y avons pas non plus d’exposés en 20 minutes, réglés par un modérateur qui fait entre temps ses textos et ses lectures : nos séances d’été sont de deux, trois heures et nous avons tout le temps de discuter. C’est qu’a contrario des idées reçues, l’enseignement à tous les niveaux universitaires est étymologiquement publication et recherche à part entière, quand on n’en fait pas seulement une diffusion d’informations qu’on trouverait dans les livres, mais une formation à la construction d’une analyse. C’est une naïveté bien « shanghaienne » que de mesurer la production d’institutions scientifiques au nombre d’étudiants, de colloques, de publications sinon de brevets ! Heureusement que la vie intellectuelle est chose plus fine que ces grossièretés contemporaines. S’il n’y a pas eu de revue pendant ces dix ans, on n’en a pas moins produit et assurément réfléchi.

Nous avons donc du grain à moudre et des meuniers ! Montrons maintenant les fruits de cette formation et de toutes ces activités si riches.

Les temps et ses techniques sont propices : une revue en ligne est bien plus confortable et souple en organisation. Plus de date butoir de remise de manuscrit, de calibrage d’article suivant le nombre de pages et le prix de parution : on peut proposer un article le 6 janvier, aux Rois, ou le 28 décembre, aux Saints Innocents ! Ce peut être une notule de lecture réactive, une notice critique d’exposition ou une somme définitive sur un sujet qu’on épuise en catalogue ou qu’on synthétise en théorème : tout est intégrable. Nous ne suivrons cependant pas l’usage disciplinaire du comité de lecture qui tient du hochet d’une sorte d’ordre professionnel toujours fallacieux, sinon rétrograde. Comme s’il fallait une déclaration préalable des personnes compétentes, comme si nos institutions en général, notre centre en particulier, étaient à ce point irresponsables et laxistes pour publier n’importe quoi, à ce point démunis pour n’avoir pas en tout sujet quelqu’un de compétent et d’éclairé pour garantir la qualité sans brider l’invention ou la contradiction, à ce point inorganisés pour ne pas se donner le temps de l’appréciation ou de l’amélioration. Très légitimement, le comité de lecture est pratiquement la liste des membres du centre d’archéologie, où chacun est non seulement compétent par une carrière souvent remarquable, mais où, à eux tous, ils couvrent une grande diversité de domaines de compétence. Directeur et secrétaires de rédaction – Hélène Brun et Marie-Laure Portal – sont suffisants comme caution immédiate.

S’ouvre ici le numéro 15 – 2012.

Il n’aura pas maintenant de sommaire mais, à la fin de l’année, la table des matières que vous aurez remplie.


[1] Les programmes de ces rencontres estivales (RAGEs) sont accessibles sur la page http://anthropologiedelart.org/centrage/la-recherche/universite-dete-rage/rages-programmes-anciens/

[2] On en trouvera des résumés sur le site du Centre d’Archéologie Générale : http://anthropologiedelart.org/centrage/la-recherche/themes-de-recherche/

[3] Voir les biographies en ligne sur le site du Centre d’Archéologie Générale.

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